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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/1034

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REVUE DES DEUX MONDES.

guille de la pendule : quelque chose comme le souffle de la vision biblique sembla glisser devant sa face et la couvrir d’un nuage blanchâtre. Passant à plusieurs reprises la main sur son front, le jeune homme fit quelques pas rapides dans le salon, après quoi il s’arrêta, et respira longuement avec une sorte de satisfaction, comme se sentant vainqueur dans la lutte suprême qu’il venait de soutenir. Il s’assit alors devant la table, et traça précipitamment quelques lignes destinées à sa sœur. Dix minutes s’écoulèrent, et il était encore plongé dans l’amertume de cette dernière effusion, quand un léger bruit lui fit retourner la tête du côté de la porte. Son regard rencontra celui de Hoche.

— Pardon, monsieur, si je vous trouble, dit le général tenant attentivement ses yeux fixés sur ceux du jeune homme ; mais, dans l’état où sont les choses, il doit vous être indifférent de me dire, et moi, je désire connaître exactement le nom du Bourbon qui a débarqué sous un déguisement de femme, à la suite de vos parentes, et par vos bons soins ?

À cette question détaillée, une telle expression d’inintelligence pétrifia l’œil ordinairement pénétrant de Hervé, un hébétement si sincère se peignit sur ses lèvres entrouvertes, que le général ne put réprimer un faible sourire.

— J’en étais sûr, mon général ! j’aurais parié vingt fois ma tête !…

— À bas les jacobins et les dénonciateurs ! s’écria Francis en s’élançant follement dans la chambre.

— Allez-vous-en, vous, dit Hoche avec une impatience à laqueUe son petit aide-de-camp ne jugea pas nécessaire d’obéir. — À ce qu’il me paraît, monsieur Pelven, continua le général, vous ne me croyiez pas si bien instruit ?

— Il est innocent comme le bon Dieu, général I reprit Francis avec une exaltation croissante.

— Véritablement, général, balbutia Hervé, je ne sais pas du tout… Je ne comprends rien à ce que vous me dites.

Un nouveau sourire plus franc et plus distinct éclaira les beaux traits du jeune général en chef.

— Vive la république ! cria Francis en sautant au cou de Hervé dans un accès d’affectueux enthousiasme.

— Vous voyez, commandant, dit Hoche, que M. Francis vous a rendu son estime. Vous voudrez bien m’excuser de ne pas me montrer aussi prompt. À mes yeux, vous êtes toujours coupable, au moins d’une excessive imprudence. La vérité est que nous avons, grâce à vous, un Bourbon sur les épaules. Je n’ai pas besoin de vous énumérer les malheurs qu’une telle complication porte en soi ; mais comment puis-je concevoir que les incidens suspects de votre voyage n’aient pas éveillé plus sérieusement voire défiance ?