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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/1046

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— As-tu trouvé la pièce de monnaie ? lui demanda-t-il sans se déranger. — La jeune fille tressaillit, s’arrêta court et fit un pas en arrière.

— Est-ce que je te fais peur ? reprit le pâtre en se levant. Tu ne me vois donc pas ? — Et, comme elle répondait par un signe négatif : — Pauvre petite ! lui dit-il, tu es aveugle ! Comment oses-tu courir si près du bord de l’eau ?

— Oh ! répliqua-t-elle un peu rassurée, je connais cette pointe et les environs à cent pas à la ronde, et je peux suivre seule le chemin qui mène d’ici chez ma mère à l’entrée du village.

— Veux-tu, que je te conduise à l’ombre ? ajouta Ismaël ; ne reste pas là où tu es, le sable brûle les pieds ! viens ! ..

— Non, non ; quand il fait bien chaud, j’entrevois du côté du soleil une lueur qui me réjouit. Et puis il faut que je guette les barques, c’est par ici que je vais au-devant de celles qui remontent à la voile. J’entends le bruit du courant qu’elles refoulent, et je demande l’aumône aux reïs. Ce qu’ils me jettent tombe souvent dans les épines ; je passe bien du temps à chercher, je m’écorche les mains et les pieds ; mais enfin Dieu est grand, et, à force de patience, je trouve…

— Pourquoi t’es-tu cachée quand je me suis approché de toi ce matin ?

— J’ai cru que quelque méchant pâtre des environs venait pour me voler, répondit-elle ; les autres mendians sont jaloux de moi, parce que cette place est bonne. Il y a aussi des enfans qui me jouent de mauvais tours ; ils lancent de petites pierres dans l’herbe, et me crient : — Cherche, Fatimah ! cherche !… Et, quand ils m’ont fait chercher pendant une demi-heure, ils se sauvent en se moquant de moi.

— Je te défendrai, dit Ismaël. — Et il la fit asseoir près de lui.

Chaque jour, ils se retrouvaient ainsi à la même place. Entre ces deux enfans que la Providence semblait avoir oubliés, il s’établit bientôt une intimité facile à comprendre. La petite mendiante Fatimah, à qui ces jours sans lumière, passés dans la solitude, paraissaient bien longs, avait trouvé une voix compatissante qui répondait à la sienne. Avant elle, qui avait aimé Ismaël ? Personne ; le jeune pâtre, s’attachait donc au seul être qui ne le repoussât pas dans son délaissement. Le hasard lui avait fait rencontrer une créature plus faible que lui et qu’il protégeait. De plus, il prêtait à la petite fille aveugle le secours de ses yeux ; du plus loin qu’il découvrait des barques, il les lui signalait, de sorte que, certaine de ne pas les manquer, celle-ci pouvait dormir en paix sous le buisson où elle s’était fait un gîte. Quand les mariniers lui lançaient quelque aumône, elle se plaisait à la ramasser elle-même. — Laisse-moi chercher, disait-elle à Ismaël. C’est ma joie, mon travail à moi ! N’est-ce pas la seule chose au monde que je puisse faire ?