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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/17

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nuit, à la porte de son château, travaillait à une tapisserie destinée à recouvrir un immense fauteuil où elle voulait ensevelir son joli corps en ses jours de langueur ou de méditation. Auprès d’elle, le marquis de Penonceaux jouait avec des écheveaux de laine que de temps en temps elle lui arrachait sans mot dire, et se livrait, en langage de précieuse, à des réflexions de vétérinaire au sujet des dernières courses. Le comte Théobald Lanier, gentilhomme de 1830 et un des fondateurs du jockey-club, était perdu dans la contemplation de la botte vernie qui emprisonnait un pied auquel il attachait de grandes prétentions. Mme de Mauvrilliers, qui, pour venir donner un mois à sa chère Lisbeth, s’était décidée à quitter des gens qu’elle n’aimait pas, des lieux où elle s’ennuyait, et à faire un voyage dans la plus belle saison de l’année, promenait mélancoliquement ses belles mains, à la peau transparente et aux lignes sévères, sur un piano chargé de fleurs.

André, dont je veux vous dire quelques mots tout de suite, s’affligeait de ce qu’un air d’ennui fût répandu sur les traits de sa femme. Je connais peu de natures plus aimables et meilleures que celle du duc de Tessé. C’est une ame douée de toutes les délicatesses d’une ame féminine, et cependant capable de répondre aux exigences de l’honneur viril. Le duc de Tessé est brave ; mais la bravoure n’empêche pas, dans certaine condition surtout, le cœur d’être atteint à maint endroit de dangereuses faiblesses. André n’avait jamais eu une volonté assez énergique pour mener une vie digne de son caractère et de son nom. Ainsi la cause que naturellement il était appelé à défendre lui était devenue tout-à-fait étrangère. Maint attachement l’avait lié à tout un ordre de gens et de choses dont ses instincts le séparaient. Peu à peu il avait oublié la grace difficile et périlleuse d’une vraie vie de gentilhomme pour les commodes et paisibles élégances d’une existence de gentleman. Il avait tendu la main à la paresseuse noblesse et à l’entreprenante roture des Penonceaux et des Lanier. Les buts vulgaires, donnés forcément à toutes ses actions et à toutes ses pensées par de semblables liaisons, avaient été funestes à la personne qu’il aimait le plus en ce monde. Élisabeth aurait eu besoin de trouver dans son mari un légitime objet d’enthousiasme ; cette expansive et généreuse nature n’aurait pas épuisé en prodigalités capricieuses des forces qu’elle aurait pu noblement et utilement dépenser. Puis André, tout en adorant et même en respectant sa femme, n’avait pas su la soustraire aux détestables influences du monde qu’il avait adopté. Il avait laissé cette ame, empreinte d’une distinction sérieuse et touchante, se livrer à toutes les stériles préoccupations, à tous les frivoles soucis des natures inférieures. La duchesse de Tessé avait parfois des misères qui rappelaient la courtisane. Sous la direction de MM. Lanier et de Penonceaux, elle avait pris quelque chose de la haine irréconciliable dont les créatures