Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouviez jamais à d’autre siège que celui de Montceny. Avant deux ans, vous verrez Raoul aux courses dans la tribune du duc d’Orléans. Ce brave garçon est incapable de faire la guerre à un gouvernement établi, et cette juste opinion que tout le monde a de lui nous garantit une pleine sûreté ; mais je comprends sa mise en scène, ajouta-t-il en regardant Élisabeth. Ce que je ne comprends point pourtant, fit-il de nouveau à voix basse, c’est ce qu’il porte là sur son habit. Voilà une décoration que je ne connais pas.

Ce qui excitait avec raison, je dois le dire, l’étonnement de Lanier, c’était une croix délicatement brodée en soie blanche, qui brillait comme un camélia sur le frac élégant de Montceny. Du reste, toute la tenue de Raoul mérite de ne pas être oubliée. Le dandy avait revêtu un costume complet de Vendéen. Son habit de chasse était gris, à revers noirs comme les nobles habits qu’usèrent les broussailles du Bocage et que trouèrent les balles républicaines ; seulement l’habit de Montceny n’avait pas la moindre trace ni de bivouac, ni de combat ; il était d’une fraîcheur irréprochable, et aurait pu figurer de la façon la plus galante dans un quadrille de bal masqué.

Deux mots du comte de Montceny. C’était en 1832 un des chefs de la jeunesse dorée. Il avait une jolie figure, une belle taille, montait parfaitement à cheval et possédait tout l’esprit nécessaire pour ne pas déparer ces qualités auprès de ceux surtout qui les goûtent le plus. Le fait est qu’il ne manquait point d’une certaine finesse. Comme ce prince de Bambucci dont parle George Sand, il ne pouvait être trompé ni sur un cheval ni sur un tableau. Il avait aussi quelques notions des femmes et ne faisait jamais de faute dans une partie avec une coquette. Une chose pouvait le déconcerter en matière amoureuse : c’était l’amour, dont il n’avait pas plus l’idée que des loups-garous. On le disait d’une bravoure assez médiocre ; mais il avait tous les dehors de la vertu dont il n’était pas sûr d’avoir le fond, et ces dehors suffisaient amplement à la seule vie qu’il voulût mener. Au demeurant, c’était un de ces hommes qui savent traverser ce monde dans un équipage à la fois agréable et commode, et qui ont, après tout, dans les faveurs des belles, plus large part que les héros et les poètes, sans faire trouer leurs habits par des balles comme les premiers, et par la misère comme les seconds.

Il avait fait, pendant une partie de l’hiver, à Élisabeth, une de ces cours d’habitude et de précaution destinées à porter leur fruit quand il plaira au ciel. Il était alors sous la domination de lady Greenwich, qui s’avisa, pendant six semaines, d’être jalouse, afin d’avoir tout connu, dit-elle un jour avec un accent inimitable, et que la jalousie ennuya profondément. L’été le trouva libre, et il songea dans sa liberté à la duchesse de Tessé, qui était sa voisine de campagne. Il résolut d’aller à Montceny ; puis, pensant que Madame était en Vendée et qu’Élisabeth