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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/30

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était romanesque, il fit mettre dans sa berline un costume vendéen.

Deux jours après son arrivée, il alla faire une visite à Saint-Nazaire. Là il apprit l’enthousiasme de la duchesse pour Vibraye, et il bénit secrètement son habit gris. Il pria André d’amener sa femme chez lui le lendemain. La fortune, qui, en sa qualité de personne plus que légère, se coiffe volontiers de gens comme Raoul, inspira justement à la duchesse l’idée de galoper sur miss Anna. Les préparatifs de Montceny ne furent point perdus, sa fable de siége eut plein succès ; Élisabeth, se piquant d’héroïsme, voulut attendre jusqu’à la nuit les gendarmes. Pendant ce temps, l’habit vendéen produisit tout son effet. En retournant au tomber de la nuit à Saint-Nazaire, la duchesse pensait avec complaisance à Raoul. Ce faux et pimpant Vendéen lui avait fait oublier le vrai Vendéen tout sanglant dont le matin elle avait bouleversé l’ame. Rentrée au château, son premier mouvement ne fut même point de monter dans la chambre de Robert. Quand la vieille Brigitte, qu’elle avait laissée auprès du malade, entrant tout à coup dans le salon où elle devisait avec Penonceaux, s’écria : — Madame la duchesse, le médecin dit que M. de Vibraye est sauvé ; — Ah ! Dieu soit loué ! fit-elle en rougissant, elle qui rougissait peu, et elle monta précipitamment dans la chambre du blessé comme pour réparer un oubli. — Élisabeth, lui dit le malade, que je meure, si des paroles dont je crois me souvenir n’étaient qu’un songe. Le médecin dit à présent que je vivrai. Je vivrai, si vous voulez, et mourrai, si vous voulez : je vous aime.


V

Je ne sais pas au monde, en définitive, de plus grande puissance que l’amour : c’est l’avis des poètes et des pères de l’église, de Pétrarque et de l’Imitation. Robert prit donc sur Élisabeth un certain empire ; une absence de Montceny le servit admirablement. Le beau Raoul fut obligé de suspendre sa campagne vendéenne pour aller sur-le-champ à Paris, où une grand’tante, dont il était l’héritier, venait d’avoir une attaque d’apoplexie. Aucune passion ne lui aurait fait négliger ce voyage. Vibraye fut de nouveau, pour la duchesse, le seul Vendéen à aimer. Il passait avec elle de longues heures et s’étonnait de tout ce qu’il y avait en cet esprit, que les frivolités du monde auraient dû épuiser. L’état dans lequel il était donnait forcément à ses amours un tour idéal ; la duchesse, qui, en certaines matières, avait grande expérience et grande prévision, appelait à son aide, pour enchaîner chaque jour davantage le pauvre Vibraye dans le monde immatériel, toutes les délicatesses passionnées d’un christianisme séduisant dont elle possédait merveilleusement les secrets. Et ici, qu’on fasse bien attention, je ne