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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/341

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tout poudreux de leur longue lutte, ces hommes d’une profession héroïque qu’ont célébrés l’histoire et le roman.

Toute la population de Monterey s’était avancée à leur rencontre, et les attendait avec impatience. Un nuage de poussière s’éleva enfin à l’horizon, et ce nuage, en se dissipant, laissa voir les conquérans de la Californie, les fondateurs sauvages d’une société nouvelle. Le capitaine Frémont marchait en tête : c’était un homme à l’œil vif, au regard de feu ; il était vêtu d’une blouse et de braies de cuir, et son chapeau de feutre indiquait son rang : c’était le seul chapeau de feutre parmi toutes ces coiffures bizarres. Cinq Indiens delawares, ses gardes du corps, le suivaient de près : ces Indiens l’avaient accompagné dans toutes ses dangereuses pérégrinations. Après cette avant-garde arrivaient, deux par deux, des cavaliers au teint plus bronzé que celui des Indiens : c’étaient des chasseurs (backwoodsmen) du Tennessee et des parties supérieures du Missouri ; tous portaient en travers de la selle leur longue carabine, tous étaient uniformément vêtus d’une veste de peau de daim large et flottante, que des épines fermaient par devant ; des moccassins et des chausses de cuir, qu’ils avaient fabriqués eux-mêmes, complétaient ce sauvage accoutrement. Il y avait parmi ces aventuriers des héros populaires des prairies de l’ouest ; il y avait aussi des trappeurs de castors, des chasseurs d’ours gris et même des chasseurs d’hommes, de ceux qui font, avec les gouverneurs des frontières, marché de têtes ou de chevelures d’Indiens.

Tels sont les conquérans primitifs de la Californie, dont la troupe s’arrête pour camper sous de hauts sapins à quelque distance de Monterey. Cette troupe d’aventuriers ne vous rappelle-t-elle pas Cortez débarquant sur la plage de Vera-Cruz et passant en revue les trente chevaux qu’il a réunis pour conquérir un immense continent ? Le chroniqueur espagnol Bernal Diaz del Castillo nous a conservé les noms, les qualités et jusqu’aux diverses nuances de la robe de ces chevaux l’un est un rouan que Cortez s’est procuré au prix de deux nœuds d’or, l’autre est un habile et agile coureur qu’un aventurier a reçu pour la rançon d’un prisonnier. On doit ainsi au soldat historien et compagnon de Cortez des détails pleins d’intérêt sur les conquérans du Mexique. Il y a un charme infini dans ces révélations familières sur les commencemens d’une grande société. Les humbles débuts de la conquête de la Californie auront-ils aussi leur chroniqueur ? Il serait fâcheux, vraiment, qu’il ne se trouvât pas une plume naïve pour nous les raconter. Parmi ces héros du désert, ces chasseurs d’hommes ou de bisons si respectés des planteurs et si redoutés des Indiens, on trouverait à coup sûr des types aussi étranges, des natures non moins indomptables que parmi les aventuriers espagnols du XVIe siècle. Veut-on savoir, par exemple, ce que c’est que le chasseur d’hommes au Mexique ?