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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/363

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Nous voulions parler du siége de Zaatcha, et voilà que nous parlons de l’armée en général. C’est que le siége de Zaatcha n’est qu’une des mille et une occasions où l’armée a montré ce qu’elle était. Quels obstacles imprévus n’a-t-elle pas rencontrés et n’a-t-elle pas vaincus ! Quelle lutte du courage contre le fanatisme ! Quels hommes que ces Arabes, qui se font tuer jusqu’au dernier, et qui, pendant le siége, se servaient du trou même que le boulet faisait dans leurs murailles, comme d’une meurtrière nouvelle pour tirer sur nos soldats ! Mais si ce sont là d’intrépides adversaires, quels hommes aussi que leurs vainqueurs ! Quelle patience et quelle intelligence ! Voilà comment se forme et s’instruit sans cesse cette armée d’Afrique dont, avant 1848, nous n’attendions que la gloire, et dont, depuis 1848, nous tenons notre salut. Comment veut-on, en effet, que nous ne nous intéressions pas à l’Afrique ? C’est un grand empire que nous fondons, c’est un grand avenir que nous nous ouvrons au moment même où l’avenir semble s’obscurcir pour nous sur le sol de la patrie ; mais, comme si tout cela était peu, l’Afrique est encore le séminaire où se forment l’armée et les généraux qui conservent notre société. C’est là qu’un apprend l’art d’obéir et l’art de commander ; c’est là que la science du gouvernement s’élabore à l’école de l’expérience. Nous frémissons quand nous entendons des voix imprudentes réclamer encore de temps en temps à la tribune contre l’Afrique et les dépenses qu’elle cause. Nous ne vivons en France que parce que nous avons une armée d’Afrique et des généraux instruits par l’Afrique à l’art du commandement.

L’armée est dorénavant une force sociale : nous ne disons pas que ce soit la force sociale prépondérante ; mais c’est assurément, dans certains cas, la force décisive. Sommes-nous disposés à nous féliciter de cet état de choses ? Oui ; nous nous félicitons que la société, ayant besoin de l’armée, trouve l’armée telle qu’elle est, c’est-à-dire ferme et modérée, pleine d’intelligence et fidèle à la hiérarchie ; mais nous ne nous félicitons pas que la société ait aussi grand besoin de l’armée. Avant 1848, l’armée était utile au dehors surtout : elle était la défense de notre gloire et de notre honneur sur la frontière ; mais elle n’était pas tous les jours la garantie de l’ordre intérieur. Elle était beaucoup ; elle n’était pas presque tout. Nous ne disons pas qu’elle soit aujourd’hui un corps qui peut se passer de tout le monde ; mais personne ne peut se passer d’elle.

Nous ne sommes pas étonnés de cet état de choses. Aussitôt qu’un peuple rompt avec l’obéissance volontaire qu’il doit aux lois, il ne lui reste plus que l’obéissance forcée qu’imposent les armes, et quiconque détruit de gaieté de cœur la force morale sera contraint d’avoir recours à la force matérielle. La révolution de février a donné à l’armée un ascendant décisif dans les destinées de notre pays. Tout le monde le sent et s’arrange en conséquence. Quant à l’armée, elle nous semble jusqu’ici comprendre admirablement le rôle que lui fait le sort. Elle garde avec un soin scrupuleux ses vieilles traditions et ses vieux sentimens ; elle sait que c’est là ce qui fait sa force. Image vivante de l’ordre, c’est l’ordre qu’elle veut maintenir dans la cité. Elle n’a pas d’autre pensée ; elle a même, et ici, quand nous parlons de l’armée, nous parlons de ses plus illustres chefs, elle a une discrétion qui frappe tout le monde. Elle ne parle pas. Elle n’est d’aucun parti et d’aucune coterie ; elle ne fait parler d’elle