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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/364

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qu’à cause des services signalés qu’elle rend à l’ordre social ou à l’honneur national. Nous avons, dans ces derniers temps, beaucoup entendu parler des espérances et des prétentions des partis. Lequel de ces partis a dit ou pu dire qu’il avait pour lui l’armée ? Tous peuvent le croire ; personne ne peut le proclamer avec assurance. À quoi tient cette réserve des partis, qui sont tous, en général, assez fats et assez présomptueux, si ce n’est à la réserve même de l’armée ? L’armée n’a dit son secret à personne ; mais elle affiche et pratique partout sa consigne : sa consigne est de veiller à l’ordre, et, quant à nous, nous sommes persuadés que l’armée n’a pas de secret, et qu’elle n’a que la fermé et généreuse consigne qu’elle exécute avec une constance admirable.

Nous savons bien que, dans l’analyse que nous faisons en ce moment des forces sociales, le rang que nous donnons à l’armée n’est pas conforme à la nomenclature constitutionnelle ; mais nous tâchons toujours de laisser de côté les apparences pour arriver aux réalités. Or, l’ascendant de l’armée est une réalité qu’il ne faut pas se dissimuler, et nous ajoutons que c’est une réalité heureuse. Nous voyons même, parmi les amis les plus fermes et les plus anciens du gouvernement parlementaire, des personnes éclairées qui croient, tout en le déplorant, que la société ne pourra réapprendre l’obéissance que par la consigne, et que nous serons forcés de passer par la caserne pour revenir à la tribune.

Tristes augures et surtout prématurés ! nous en sommes convaincus. Nous voyons bien quels sont les périls que court le gouvernement parlementaire ; cependant l’assemblée législative est encore une des grandes forces sociales du pays, et savez-vous pourquoi nous regardons l’assemblée législative comme une des forces sociales du pays ? — A cause de la constitution sans doute ? — Oui, à cause de la constitution, mais aussi à cause des hommes considérables qu’elle renferme. Les pouvoirs que la constitution confère à l’assemblée législative font la force légale de cette assemblée ; mais les hommes éminens qu’elle renferme font sa force réelle. Nous savons bien qu’il est de mode de dire que les hommes qui ont rendu de grands et notables services au pays depuis plus de vingt ans sont des hommes usés et qu’ils n’ont plus l’intelligence du temps présent ; mais où sont donc les hommes d’état nouveaux qui comprennent l’énigme du temps présent et qui savent la débrouiller ? Dans un temps soupçonneux et inquiet, c’est assurément un grand mérite en politique que d’être encore à la bavette ; pourtant cela ne suffit pas. Nous ne contestons pas les avantages de l’inexpérience et de la présomption, mais nous sommes persuadés que toutes les fois que l’assemblée et la France seront embarrassées de la route à suivre, elles reviendront, après quelques essais, aux anciens et glorieux pilotes qui ont conduit la barque depuis plus de vingt ans ; elles y reviendront, quitte à en médire le lendemain. Nous ne désespérons pas, quant à nous, du pays, tant que nous verrons dans les assemblées constituantes ou législatives MM. Molé, Thiers, Dupin, Berryer de Broglie ; nous voudrions y voir M. Guizot. Que les impatiens de chaque parti murmurent contre leurs illustres chefs, c’est l’histoire éternelle du cœur humain. Et notez-le bien, ce ne sont pas les hommes appelés à remplacer les grands noms que nous venons de citer qui murmurent contre eux ; ce n’est pas M. Dufaure, M. de Montalembert, M. Léon Faucher, M. de Rémusat, M. Passy,