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l’Amérique et l’éternelle mobilité des choses. Souvent il se lance dans un idéalisme un peu creux ou voisin de l’utopie ; souvent il tombe dans l’ampoulé, dans cette exaltation de la chair et du sang à laquelle les Américains sont aussi enclins que nous ; mais là encore l’originalité et la verve ne l’abandonnent jamais, et si, après avoir lu, on n’est pas toujours satisfait, en lisant, on est entraîné par la verve du conteur comme par le prestige de toute vitalité puissante


Visits to Monasteries in the Levant, par l’honorable Robert Curzon[1]. - M. Curzon, pour employer une expression qu’il applique lui-même à l’ancien voyageur Maundrell, n’est pas de ceux qui encombrent leurs narrations d’opinions et de digressions, et qui, au lieu de décrire un pays, décrivent seulement ce qu’ils en pensent. Observateur curieux et sincère, il saisit bien le côté pittoresque des choses, il a de l’entrain, il a des connaissances spéciales, et jamais il ne tombe dans ce lyrisme ou ce babil de touriste qui fait songer aux causeurs toujours préoccupés de dire à tout prix de plus jolis mots que leurs interlocuteurs. Quoique son ouvrage ne soit pas spécialement une étude sur l’architecture et l’ornementation des monastères de l’Orient, comme son titre pourrait le faire croire, l’archéologue lui-même y peut beaucoup apprendre. Depuis plusieurs années, on s’est fort occupé en Angleterre d’iconographie religieuse. Le travail de lord Lindsay sur l’Art chrétien, les études de mistress Jameson sur l’Art légendaire, les patientes recherches de M. Eastlake et bien d’autres travaux attestent assez que c’en est fait des fureurs iconoclastes du calvinisme. Pour comprendre les premiers essais de la peinture moderne, il a fallu les commenter par les légendes et les mœurs de l’église primitive, et de la sorte tout le moyen-âge s’est trouvé en cause. M. Curzon est venu à son tour apporter son tribut de documens sur cette question si complexe de l’art chrétien. De 1833 à 1837, il a été presque constamment occupé à parcourir l’Égypte, la Syrie, l’Europe orientale ; tour à tour il a visité des lieux rarement fouillés par les touristes : le désert de Nitria, le Pinde, le mont Athos. Ur des grands charmes de son livre, c’est qu’il soulève un voile derrière lequel nous apercevons avec étonnement des vivans qui semblent être les fantômes des chrétiens des premiers siècles. En s’enfonçant dans les solitudes où la vie monastique a pris naissance, M. Curzon y a retrouvé cet ascétisme asiatique que nous avons dépassé, mais qui s’est immobilisé chez les Coptes et les Abyssiniens avec toute sa soif d’inertie. Sur les murs des couvens du mont Athos et du Pinde, c’est l’art du moyen-âge qui s’est pétrifié en quelque sorte, et qui jusqu’à nos jours n’a pas cessé de reproduire les images traditionnelles. Partout l’immobilité, partout aussi les traces des trois formes de l’ancien cénobitisme : l’ermitage solitaire, — le village composé de cellules groupées, — et le couvent, ou communauté monastique. La bibliographie doit aussi des remercîmens au noble voyageur. C’est la passion des vieux livres qui l’a entraîné vers les ruines des couvens autrefois peuplés par les disciples de saint Macaire ; c’est elle qui l’a conduit aussi au milieu des dangereux défilés de l’Albanie. En Égypte surtout,

  1. Un vol. avec planches et gravures. Londres, J. Murray.