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de fonds de quarante millions de francs risqués à coup sûr, Madrid, aujourd’hui séquestré de tout mouvement commercial au centre du plus riche pays d’Europe et entre cinq ou six provinces dont chacune tour à tour regorge d’une des denrées de première nécessité qui manquent absolument à l’autre, Madrid, disons-nous, deviendrait l’entrepôt des deux tiers de la consommation intérieure et le transit naturel d’une bonne partie du commerce extérieur. Et nous ne parlons pas encore du nouveau surcroît d’activité que lui apporterait nécessairement dans l’avenir le prolongement de ses voies, soit ferrées, soit navigables, jusqu’en France d’une part, et jusqu’en Andalousie et en Estramadure, d’autre part[1].

Toutes les conquêtes matérielles s’enchaînent. La multiplication rapide des capitaux, la baisse de salaires qu’amènera une grande abondance de denrées, le bon marché des matières premières, résultat naturel de la multiplicité, de la rapidité et du bas prix des moyens de transport, enfin l’ouverture du plus vaste réseau de débouchés intérieurs qu’il soit donné à une capitale européenne d’espérer, appelleront inévitablement à Madrid l’activité manufacturière. Les mille petites industries individuelles qui végètent aujourd’hui au service de la consommation locale se développeront, soit isolément, soit en s’agglomérant entre elles, et la diminution relative de leurs frais généraux, conséquence première de ce progrès, sera, à son tour, le mobile de progrès nouveaux. Madrid aura même à redouter, dans l’intérêt de son commercé de transit, l’exagération de ces tendances industrielles. La carrosserie, la fabrication des tapis, celle des porcelaines et enfin la métallurgie sont les seules industries qui puissent prospérer dans son sein sans nuire aux autres élémens de sa future activité. Les trois premières s’y sont naturalisées à la faveur du luxe que la présence de la cour et de l’aristocratie et l’affluence des capitaux déclassés entretiennent dans toute capitale. Quant à la quatrième, elle doit être bien essentiellement madrilègne pour avoir pu braver les obstacles sans nombre qu’y a rencontrés jusqu’ici son essor. Chose étrange en effet, et qui ne s’explique que par l’abondance du minerai dans les Castilles, malgré son éloignement des ports de mer et des centres manufacturiers, éloignement qu’aggrave la difficulté actuelle des communications, Madrid a vu naître et prospérer quatre grandes usines métallurgiques qui ont pu aborder avec succès la fabrication des machines les plus

  1. Une compagnie anglo-espagnole s’est déjà constituée pour la construction d’un chemin de fer qui reliera Madrid à Badajoz, et plus tard à Lisbonne, avec embranchement sur Séville. Les études préparatoires de ce tracé ont démontré que la ligne de Madrid à Badajoz était celle où les difficultés topographiques à vaincre sont les moins nombreuses. L’Espagne est déjà en mesure de préjuger à coup sûr les devis de ces sortes de travaux par l’expérience qu’elle en a faite dans les tronçons de Barcelone à Mataro, et de Madrid à Aranjuez.