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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/531

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d’une maison ducale traîné devant la cour des débiteurs insolvables ; le duc de Buckingham a dû vendre les collections artistiques, les livres et jusqu’au riche mobilier de son château de Stowe ; son fils, le marquis de Chandos, à qui il avait fait cession de ses biens, héritier en apparence d’un revenu de plusieurs millions, ne touche en réalité que 2,000 livres par an, sur lesquelles il est obligé de faire une pension à son père et une autre à sa mère : il lui reste pour vivre, lui et ses enfans, un peu plus de 12,000 francs par an. Nous citons ces faits et ces chiffres parce qu’ils ont été constatés dans un procès public ; mais combien de grands seigneurs anglais n’ont point comparu devant les tribunaux et se débattent contre la ruine ! et, pour emprunter un jeu de mots à nos voisins, « combien de coronets ne valent pas une demi-couronne ! »

Il est inutile d’insister davantage pour faire comprendre quelle perturbation profonde apportera dans toutes les familles de l’aristocratie cette perte subite et sans compensation d’un cinquième ou d’un quart du revenu. Les obligations hypothécaires, déjà énormes, s’accroîtront, par la seule accumulation des années, elles deviendront hors de toute proportion avec la valeur et avec le revenu des terres, et il faudra procéder en Angleterre, comme on vient de le faire en Irlande, à une liquidation générale de la propriété foncière. Il faudra en Angleterre, comme en Irlande, abolir les substitutions. Nous n’avons pas besoin de dire que la loi qui abolira les substitutions détruira la base territoriale de l’aristocratie anglaise ; sans porter une atteinte directe à la chambre des lords, elle lui ôtera toute racine dans la société. La noblesse anglaise ne sera plus qu’une aristocratie de naissance.

L’abolition des substitutions aura pour résultat en Angleterre, comme autrefois en France, la division de la propriété. Pour faire comprendre toute l’étendue du changement qui s’accomplira alors, il suffit de rappeler que l’Angleterre ne compte qu’un propriétaire sur 350 habitans ; que le sol tout entier est partagé seulement entre 40,000 familles, ce qui donne à chaque propriété une étendue moyenne de 566 hectares ou un tiers de lieue carrée, et un revenu moyen de 35,000 francs. Il est facile de se représenter quelles seront les conséquences économiques de cette transformation par ce qui a eu lieu en France, où la production agricole a triplé depuis 1789, et par ce qui se passe tous les jours dans nos départemens du nord, à mesure que les petites fermes se substituent aux grandes exploitations. La division de la propriété n’a pas seulement pour effet d’accroître sensiblement la production, elle développe en même temps le bien-être des individus en augmentant la part du travail dans la distribution des produits. La situation de la classe agricole s’améliorera incontestablement en Angleterre, à mesure qu’un certain nombre de fermiers s’élèveront