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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/532

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à la propriété, et qu’un plus grand nombre encore de journaliers deviendront tenanciers ; mais nous ne voulons rechercher ici que les conséquences politiques d’un pareil changement. On ne nous contestera pas qu’il altérera gravement la situation de l’aristocratie. Nous disons l’aristocratie, car nous n’avons point ici de distinction à faire entre whigs et tories, qui, tout en formant deux partis, ne sont qu’une seule classe. Les substitutions ont pour objet d’empêcher que la prodigalité, l’inconduite, la folie d’un individu, ne détruisent le fruit des efforts de plusieurs générations, et ne suffisent à consommer la ruine d’une famille ; en perpétuant la richesse, elles perpétuent l’influence et le pouvoir. Les substitutions détruites, toutes les fortunes passeront tour à tour par l’épreuve de la mauvaise conduite ou du malheur, et toute grande existence brisée ne se reconstruira plus. Ces immenses domaines, ces estates qui comprennent des milliers d’hectares, seront dépecés pour satisfaire l’ardente ambition de ces commerçans, de ces industriels qui aujourd’hui, à moins d’arriver à une richesse royale, sont exclus de la propriété, et n’ont pour leurs économies d’autre placement que les fonds publics. La bourgeoisie anglaise, qui, par l’effet de la nouvelle réforme électorale, va déposséder l’aristocratie d’une part considérable de son influence politique, la remplacera aussi un jour dans la possession du sol.

Ainsi sera réalisée la substitution des classes moyennes à la classe aristocratique comme pouvoir prépondérant. Il y a long-temps que cette révolution a commencé, et ce siècle ne la verra peut-être pas finir ; car la Providence semble accorder à l’Angleterre le privilège heureux des lentes transformations et des progrès sagement préparés. Il y a plus de quarante ans, alors que l’aristocratie anglaise était à. l’apogée de sa puissance, et que le parti tory semblait maître pour long-temps des destinées de l’Angleterre, un homme d’un coup d’œil sûr et d’un esprit pénétrant entrevoyait et prédisait déjà le mouvement ascensionnel des classes moyennes. Francis Horner, écrivant en 1806 à lord Jeffrey, alors simple commoner, lui disait que Fox emportait dans la tombe le parti whig ; que le nom, que le fantôme du parti pourraient subsister encore, mais que le parti whig était bien mort. Il continuait ainsi : « .Je ne puis m’empêcher de penser qu’en dépit des apparences, il y a dans la classe moyenne de ce pays une large base pour la fondation d’un parti populaire, reposant sur les opinions, les intérêts, les habitudes de ces nombreuses familles dont les traits caractéristiques sont des fortunes médiocres, mais croissantes, une éducation soignée donnée aux jeunes gens, et la pratique sévère des grandes vertus communes. Je ne doute pas que ce ne soit là la vraie démocratie, si cette classe conserve son action sur l’opinion publique, à laquelle un gouvernement doit toujours obéir. Plusieurs circonstances