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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/551

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ne sont pas tout-à-fait bourreaux, et que pour lui il n’y a eu encore d’autre Conciergerie que l’hôtel des gardes nationaux réfractaires, le mie Prigioni, comme il l’appelle ? Soit ; mais la parodie maladroite, le plagiat à demi violent, à demi mesquin, n’offrent-ils pas excellente matière à la satire, par cela même qu’étant moins grandioses ils sont plus risibles ? Ce 93 diminué et, non corrigé, criminel d’intention, grossier et puéril de fait, ne répondrait-il, pas admirablement à ce qu’eut souvent d’ironie enjouée le talent de M. de Musset ? Cette guerre si légitime ne porte-t-elle pas bonheur ? N’avons-nous pas vu, depuis deux ans, un écrivain qui a mis une ingénieuse persistance à ne point dépasser sa sphère, et qui prétend au futile et au léger comme d’autres visent à la gravité et à l’importance, retremper sa verve dans une lutte incessante contre les ridicules de notre nouvelle crise, mêler sans disparate ces combats journaliers aux élémens de sa critique habituelle, et y trouver des conditions de rajeunissement et de force qui, sous peu de jours, nous l’espérons, vont se révéler dans un livre dont l’éloquente et courageuse préface sera un honneur pour les lettres ?

Et remarquez que pour M. de Musset cette veine était d’autant mieux indiquée, que le moment où ses charmans proverbes le rendaient enfin populaire et accréditaient son nom auprès de la foule se combinait, par une surprenante rencontre, avec la révolution de février. Ces deux avènemens, si bizarrement contraires, étaient presque simultanés. Les caprices de la renommée, les temporisations de la gloire, permettaient que le plus exquis de nos poètes ne fût salué comme un maître et n’entrât en pleine possession de sa célébrité qu’à l’instant même où le grossier et le brutal envahissaient la politique. N’y avait-il pas, dans ce seul contraste, l’indication d’une route à suivre et d’une place à prendre, indication d’autant plus nette, que la poésie avait son transfuge dans le camp des envahisseurs ? Nous ne voudrions pas qu’on pût nous taxer d’hostilité systématique envers M. de Lamartine ; loin de nous surtout l’idée de faire peser sur ses vers la responsabilité d’aberrations déjà si tristement expiées ! Les leçons, depuis quelque temps, n’ont pas manqué à M. de Lamartine ; mais il méritait d’en recevoir une de plus : c’eût été de voir le poète qu’il traité de si haut et avec des façons si cavalières se faire l’interprète des rancunes railleuses de la civilisation, du bon sens et de l’art, pendant que l’auteur du Lac et des Préludes se fourvoyait dans la cohue. M. de Musset avait là un excellent moyen de répondre aux conseils quelque peu dédaigneux que lui adresse M. de Lamartine dans une pièce qui s’est fait bien attendre, et que, pour sa gloire, il eût dû peut-être ne publier jamais. On n’a pas oublié les beaux vers qu’écrivait ici même M. de Musset, il y a quatorze ans, quelques jours après Jocelyn, et où son talent, encore si jeune et déjà si mûr, trouvait, pour louer son glorieux émule, des accens que rien n’a dépassés dans la poésie moderne. Il semble qu’un homme tel que M. de Lamartine n’eût pas dû se méprendre à l’idéale beauté de ce langage ; M. de Lamartine garda le silence. C’est aujourd’hui seulement, dans la nouvelle édition de ses Œuvres complètes, qu’il publie cette réponse tardive : elle est datée de 1840 ; mais ne pourrait-on pas lui attribuer une date plus récente encore ? C’est un doute que nous exprimons, et rien de plus. Ce qu’il y a de pire, c’est que cette pièce rétrospective est, de tous points, indigne et de M. de Musset et de M. de Lamartine. Un pédagogue superbe