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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/617

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LA BAVOLETTE.

— Vous êtes en lieu sûr, dit la vieille à la balafre ; vous n’y manquerez de rien. J’ai reçu trois pistoles d’avance. Vous plait-il manger ou boire ? Nous avons du vin clairet. Vous ferez chère-lie et dormirez à votre aise. On ne vous gênera point, à moins que vous n’ayez fantaisie de sortir.

La balafrée ne comprit pas que sa voix rauque et ses paroles augmentaient l’effroi de la jeune fille, au lieu de la rassurer. Elle reprit le tricot qu’elle avait posé sur ses genoux, et haussa les épaules d’un air de pitié. Claudine ne répondait que par des larmes. Après un moment de silence, la vieille poursuivit son discours :

— Quelle idée avez-vous eue, ma mignonne, dit-elle, en repoussant les galanteries de M. de Bue ? Ce gentilhomme n’est-il pas bien fait et de bonne mine ? Appartient-il à une bavolet te, tout joli qu’est son minois, de faire ainsi la mijaurée, lorsqu’elle s’est déjà vendue ?

— C’est une lâche calomnie ! s’écria Claudine impétueusement.

— Allons, reprit la balafrée, laissons les grimaces. Une laitière en pou-de-soie rose avec collet de dentelles, cela parle clair. Vous avez mérité une leçon ; mais vous n’en mourrez point. Montrez-vous humaine, et l’on vous pardonnera le verre en main. Votre amoureux est un cœur d’or.

Au milieu de ses pleurs, Claudine écoutait avec attention ces discours, dont chaque mot contenait quelque trait de lumière. Ce monde si poli et si charmant, que son imagination avait embelli à plaisir, elle le voyait enfin tel qu’il était, avec l’apparence des vertus, mais au fond pervers et livré à ses passions. Deux nobles figures surnageaient encore dans ce naufrage : celles du héros de Rocroy et de la princesse inconnue. Claudine baisa le bracelet qu’elle avait à son bras en s’écriant avec transport :

— Ah ! chère princesse, que ne puis-je vous confier la défense de mon honneur !

— Vous moquez-vous des gens, interrompit la vieille, avec votre princesse ? M. de Bue m’a raconté cette histoire. L’on vous aura sans doute appelée à quelque partie de plaisir où il manquait une femme.

— Que voulez-vous dire ? demanda Claudine.

— Ne savez-vous donc pas encore, reprit la balafrée, chez qui vous êtes allée chercher ces bijoux et ces robes ?

— Chez une princesse appelée Marie.

— Oh ! l’excellente affaire ! dit la vieille en éclatant de rire. On se sera bien diverti de votre sottise, pauvre innocente. La princesse qui vous a donné ce bracelet et à qui M. de Bue vous a menée sous les arbres de la place Royale, c’est la plus folle et la plus étourdie des libertines, M’e de L’Orme.

Le nom de cette célèbre courtisane était connu, même des paysans