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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/618

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REVUE DES DEUX MONDES.

de Saint-Mandé. À cette découverte, la bavolet te demeura comme anéantie. Le personnage de Marion de L’Orme, substitué dans son esprit à une créature angélique, y mit une confusion épouvantable. Si, dans ce moment, on eût dit à Claudine qu’elle avait pris quelque filou pour le prince de Condé, elle l’aurait cru volontiers. Le résultat de ses réflexions fut aussi prompt que déterminé. Ne comptant plus que sur elle-même, elle appela toute son énergie pour lutter contre les méchans, et son cœur s’ouvrant, comme le temple de Janus au signal de la guerre, les sentimens amers y pénétrèrent, ayant à leur tête la défiance, le mépris et l’orgueil offensé. Ses larmes s’arrêtèrent. Elle se leva, et, quittant les attitudes mélancoliques, elle mangea le repas qu’on lui servit. Pour la première fois, elle employa la ruse, en laissant croire à la vieille balafrée qu’elle se rendait à ses avis. Cette feinte résignation lui servit à connaître les intentions de l’ennemi. Elle apprit que M. de Bue, empêché par ses devoirs militaires, avait remis au soir l’accomplissement de ses projets ; c’est pourquoi elle résolut de s’évader avant la fin du jour, à quelque prix que ce fût. L’œil aux aguets et l’oreille attentive, elle étudia les localités et les bruits du dehors, afin d’en tirer les inductions qui lui pouvaient être utiles. Des voix d’hommes qu’elle entendit lui donnèrent à penser qu’un barbier ou un étuviste habitait l’étage inférieur. Une enseigne qu’elle reconnut par la fenêtre la confirma dans cette idée. Les boutiques de ces gens-là étaient alors des tripots. Le lieu avait été merveilleusement choisi pour y commettre un acte de violence avec impunité ; mais aussi le grand concours dé monde offrait quelque espoir d’y trouver du secours. Sur la table à manger était un méchant couteau mal aiguisé, mais capable encore de faire une blessure. Claudine s’en empara. Elle prit incontinent un parti extrême, et, se jetant sur la vieille, qui ne songeait à rien :

— Vous êtes morte, lui dit-elle, si vous ne me laissez sortir d’ici.

— Sainte Vierge ! répondit la balafrée. Vous voulez rire sans doute. Ne jouons pas avec les couteaux, ma mignonne. Comment pourrais-je vous laisser sortir ? nous sommes enfermées.

— Vous mentez, reprit Claudine. Vous avez les clés ; ouvrez cette porte, ou je vous tue.

— Sur le corps du divin Sauveur ! s’écria la balafrée, je vous jure que je n’ai point les clés.

— Eh bien ! vous allez mourir, dit Claudine.

Dans les yeux de la bavolet te brillait une lueur où perçait l’exaltation de son ame.

— Un moment ! dit la vieille. Que votre volonté soit faite ; mais c’est grand dommage.

Elle tira une clé de sa poche, et se dirigea vers la porte, suivie de