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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/620

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REVUE DES DEUX MONDES.

prince deCondé. Il mit sans tarder son habit des dimanches, et partit pour Saint-Maur, où demeurait son altesse.

La nouvelle fronde succédait alors à l’ancienne, et M. le prince en était lame. Autour de lui se remuait la cabale nombreuse et turbulente des petits-maîtres, qui avait remplacé celle des importons, menée par M. de Beaufort. Quelques procédés maladroits de M. le cardinal, des paroles hautaines de la régente, avaient séparé le héros de Rocroy du parti de la cour, et il s’apprêtait à donner de la tablature au ministre. Quatre cents gentilshommes, jeunes, actifs, pourvus d’armes et de chevaux et ne demandant qu’à s’en servir, trouvaient table ouverte à Saint-Maur et à l’hôtel de Condé. Jamais prince, hormis le feu cardinal de Richelieu, n’avait eu un état de maison si considérable. Les propos insolens contre la reine se débitaient ouvertement, et, comme ils étaient rapportés au Louvre par des espions, les choses s’envenimaient davantage de jour en jour.

Malgré les recommandations de sa femme et des commères, maître Simon ne laissa pas de prendre des rafraîchisse mens sur la route. Il arriva vers le soir à Saint-Maur, la tête un peu échauffée. Un grand mouvement régnait dans l’intérieur du château. On voyait partout des lumières. Des feux infernaux sortaient par les fenêtres basses des cuisines : c’étaient les apprêts du souper. Le suisse se mit à rire lorsqu’un paysan lui vint demander à parler à M. le prince. Cependant, comme on ne savait point s’il n’apportait pas quelque avis des émissaires de la cabale, les circonstances étant graves, le consigne crut devoir interroger maître Simon avant de lui fermer la porte. Dans ses efforts pour dissimuler son ivresse, le paysan eut précisément l’air d’un homme qui ne veut point dire toute sa pensée. Il parla d’une fille enlevée à laquelle son altesse s’intéressait, ce qui prit aux yeux du consigne l’apparence d’une commission politique habilement déguisée. Tandis que M. le prince et ses quatre cents petits-maîtres se promenaient dans une galerie et changeaient en paroles non seulement le gouvernement de la France, mais la face de l’Europe entière, la demande d’audience de maître Simon passait de bouche en bouche, et montait par degrés depuis la loge du suisse jusqu’au cabinet du secrétaire. M. de Gourville, confident intime de M. le prince, sortit de la galerie et revint bientôt après, riant aux éclats, raconter à ses amis qu’on avait pris un ivrogne pour un agent secret de la cabale. La requête du paysan n’aurait pas pénétré plus loirf, si la duchesse de Longueville n’en eût plaisanté avec son frère. Les noms de Simon et du village de Saint-Mandé, les mots de fille enlevée, frappèrent M. le prince, qui avait une mémoire prodigieuse. Au grand étonnement de Gourville, son altesse donna l’ordre de faire entrer le paysan dans un petit salon. Maître Simon, tout ébahi, regardait un lustre orné de vingt chandelles et ne