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LA BAVOLETTE.

Claudine l’arme haute. La serrure s’ouvrit, la porte tourna sur ses gonds, et la bavolets, franchissant les degrés de bois, se trouva dans la boutique du barbier. La compagnie, qui menait un bruit d’enfer, se tut subitement à l’apparition d’une dame. Les cornets de dés restèrent en l’air, et le cavalier sur la sellette écarta le bras qui peignait ses cheveux pour regarder cette personne intrépide qui bravait les regards des curieux. Aussitôt le barbier se jeta devant la porte.

— On ne passe point, mademoiselle, dit-il ; vous êtes sous ma garde, je réponds de vous, et d’ailleurs je ne sais qui vous êtes. Vous pourriez emporter de chez moi quelque objet.

— En effet, répondit Claudine, j’emporte ce couteau, que je vais te rendre en te le plongeant dans la gorge. Je t’apprendrai à quoi l’on s’expose en prêtant sa maison à des ravisseurs.

— J’ai vu quelque part cette belle irritée, dit un jeune homme contrefait, mais vêtu fort richement.

— Monsieur de Boutteville, reprit Claudine, vous ici, dans ce lieu infâme, et de moitié peut-être dans le complot contre mon honneur !

— Non, mademoiselle, répondit Boutteville ; j’ignorais que vous fussiez ici, et je vous prêterai main-forte pour en sortir, si l’on vous y retient malgré vous.

— Ah ! monsieur, poursuivit Claudine, que les temps sont changés depuis le jour où je m’assis à table auprès de vous ! Votre mère et votre aimable sœur m’avaient enseigné à chérir la vertu ; d’autres ont pris soin de me faire détester en eux le vice et la perfidie. Adieu, monsieur ; nous nous reverrons, j’espère, en meilleure compagnie.

Et, se tournant vers le barbier avec un geste de mépris : — Misérable, lui dit-elle, ôte-toi de mon chemin.

VI.

Dans l’exécution de son rapt, M. de Bue n’avait pas si bien pris ses mesures que des soupçons ne se fussent éveillés dans le village. Au bruit de son carrosse, des paysans s’étaient mis aux fenêtres. La précipitation et les airs agités qui accompagnent d’ordinaire une action coupable avaient été remarqués. On reconnut tout-à-fait les signes d’un enlèvement, lorsqu’on se fut communiqué ses observations entre voisins. On savait le retour de Claudine, et, en ne la retrouvant plus chez elle, on comprit ce qui était arrivé. Dame Simonne, sortie de sa prison, fut abordée à l’entrée du village par des commères pressées d’éclaircir ce mystère. Maître Simon rentra bientôt et se joignit au conciliabule. Comme il n’était qu’entre deux vins, et que sa raison ne paraissait pas trop endommagée, on lui conseilla de faire quelque démarche. L’occasion était belle d’employer le crédit qu’il prétendait avoir sur le