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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/622

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REVUE DES DEUX MONDES.

— C’est différent. Explique-toi donc. On l’a enlevée de force, et qui est le ravisseur ?

— Je n’accuse personne.

— Parle sans crainte. Sais-tu qui a enlevé ta fille ?

— Plût au ciel, monseigneur ! je saurais où l’aller chercher.

— Je m’en charge. Retourne chez toi, et tâche d’être sobre, car tes ennemis ont raison de dire que tu bois. Je m’enquerrai de Claudine, et, si on l’a détournée par la violence, je ferai poursuivre le ravisseur ; mais je t’avoue que je n’ai guère d’espoir qu’elle soit innocente. Ces robes de soie et ce bracelet d’or ne paraissent pas de bon augure pour sa vertu.

— Cela me tracasse en effet, monseigneur. Est-il juste qu’une fille ait des bijoux, quand son père va vêtu comme me voilà ? Je suis un honnête homme ; mais, quand on m’aura rendu ma fille, en serai-je plus riche ?

— Tu te consolerais donc de sa perte pour de l’argent ?

— Je voudrais ma fille d’abord, et puis de l’argent pour me consoler.

— Maître Simon, dit le prince avec un regard foudroyant, tu es un coquin. Écoute-moi : si tu te joues de ma crédulité, si j’apprends que tu sais où est ta fille et que tu n’as d’autre envie que d’obtenir le prix de son déshonneur, je te ferai rouer de coups de bâton.

Le paysan, au lieu de protester contre un soupçon si horrible, se mit à pleurer et balbutier, en sorte que son altesse, perdant patience, lui tourna le dos et sortit par la porte dérobée. De retour dans la galerie, le prince raconta en peu de mots à ses amis le sujet de sa conférence avec maître Simon. Parmi ses auditeurs était le président de Bellièvre, l’un des esprits éminens du parlement, qui prit note du nom de Claudine Simon, et promit de la faire chercher par le lieutenant de police. Un gentilhomme qui prêtait l’oreille à la conversation quitta le groupe où il était, et s’approcha du président de Bellièvre.

— Prenez garde, monsieur, lui dit-il ; vous allez découvrir deux gibiers au lieu d’un.

— De Bue, dit le prince, vous êtes un mauvais sujet. Je gage que vous avez des nouvelles de ma bavolet te enlevée.

— Il est vrai, répondit M. de Bue, j’en ai de toutes fraîches. La bavolet te a pris goût au beau monde ; elle fait aujourd’hui amitié avec Mlle de L’Orme, qui lui a enseigné le moyen de bien vivre et de subjuguer les cœurs. Je les ai vues ensemble, ce matin, aussi parées l’une que l’autre, sans doute à la suite de quelque partie de plaisir.

— Aïe ! s’écria le prince, voilà ma bavolet te à bonne école ! Elle n’a plus que faire de ma protection, et je n’irai point la déranger. J’en suis fâché, j’avais de l’estime pour cette fille : n’y pensons plus ; mais voyons l’autre gibier de Bellièvre.