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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/623

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LA BAVOLETTE.

— L’autre gibier, reprit de Bue, c’est un ancien péché du feu président de Chevry. Mlle de L’Orme avait reçu de ce magistrat un bracelet en perles fines d’une valeur considérable, et ce bracelet figure à présent au joli bras de Claudine.

— Assez 1 dit M. de Bellièvre ; tirons un voile sur les erreurs de la cour des comptes. Oubliez votre bavolet te, monseigneur, et prions M. de Bue de ne point écrire ses mémoires.

Maître Simon cheminait sur la route de Saint-Mandé, tandis qu’on s’égayait ainsi aux dépens de sa fille. Pour supporter les reproches sévères du prince, il voulut puiser des forces au cabaret, et laissa le reste de sa raison au fond du verre. Claudine, de retour au logis, attendait son père avec impatience. Lorsqu’il arriva, le maudit homme fit cent rodomontades au sujet de son ambassade. Il se vanta d’avoir parlé vertement et captivé l’admiration de tous les petits-maîtres ; mais, à travers les fumées du vin, Claudine, à force d’interrogations, finit par obtenir un récit moins embelli de l’entrevue, et, devinant tout à coup les odieux soupçons du prince :

— Malheureux ! dit-elle à son père, vous m’avez perdue par cette fatale ambassade. J’avais sauvé mon honneur, vous venez de détruire ma réputation.

L’ivrogne ne manqua pas de se mettre en colère, et puis il pleura et se coucha en maugréant contre tout le genre humain. Claudine passa la nuit entière à réfléchir aux moyens de réparer les fautes de son père, mais la réflexion ne fit qu’augmenter ses angoisses. Le mal dont elle n’avait point la mesure lui semblait grandir à chaque effort de son esprit. Un abîme s’ouvrait devant elle, dont ses regards ne pouvaient percer les ténèbres. Dès les premières lueurs du matin, elle fut chassée hors du lit par des pensées intolérables. Dame Simonne, qui l’entendit marcher dans sa chambrette, la vint trouver. Claudine avait repris ses habits de bavolet te.

— Ma mère, dit-elle d’un air sombre et résolu, je vais partir. Il faut que je sache où en est ma réputation. Je ne rentrerai ici qu’après l’avoir reconquise, et, si elle doit périr, je succomberai avec elle. N’essayez point de me détourner d’un dessein inébranlable. Je ne vous laisserai pas ignorer le sort de votre fille. Prenez la moitié de cette somme d’argent, achetez ce qui vous est nécessaire ; vivez paisiblement, loin de ce monde brillant et trompeur où je me suis follement jetée.

En parlant ainsi, Claudine tirait de leur cachette les louis d’or de MIIe de L’Orme, en faisant deux parts, l’une pour sa mère et l’autre pour elle, et, après avoir plié un petit paquet de linge, qu’elle mit sous son bras, elle se tourna vers dame Simonne par un mouvement brusque.