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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/628

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REVUE DES DEUX MONDES.

d’une bavolet te. Eh bien ! faisons-nous grande dame, et celui dont je repousserai l’amour se tiendra pour bien repoussé, celui que j’accablerai de mépris se tiendra pour bien accablé, bien méprisé. Je donnerai) à celui-ci un brevet de galant homme, à celui-là un certificat de sottise ; et, si quelqu’un s’avisait de se vanter de mes bonnes grâces, un mot suffirait à le couvrir de ridicule. Je n’aurai plus besoin des arrêts de M. le prince. Ce n’est point assez d’échapper à la calomnie ; je prétends me venger des calomniateurs. Me disculper, me défendre, quand je suis innocente et outragée ! Fi donc ! c’est à moi de juger, de condamner les coupables, de les forcer à demander grâce et de les punir, s’il me plaît d’être sans pitié.

VIII.

De tous temps il y eut trois moyens d’être femme à la mode : la beauté, la fortune et l’esprit. Mlle de L’Orme en employait un quatrième dont notre héroïne ne voulait point se servir. Claudine, privée de fortune, n’avait, à proprement parler, que la beauté ; mais, pour y ajouter l’esprit, il ne lui manquait qu’un peu de culture. Avec l’argent que lui avait donné Marion, elle prit un logement modeste, mais commode, dans la rue Saint-Côme[1], et s’y enferma durant quatre mois pour y refaire son éducation. Un maître à danser lui enseigna plus de manières qu’elle n’en voulait avoir, en conservant le naturel, qu’elle estimait avant toutes choses. Un joueur de luth lui apprit en un jour à tourner avec grâce les chevilles de cet instrument ; mais elle ne s’en tint pas là, et elle sut bientôt assez de musique pour accompagner sa voix. Quant au maître de langue et de bel esprit, elle lui donna la plus grosse part de son temps, et profita de ses leçons avec une ardeur incroyable.

Une fois assurée de pouvoir se montrer avec avantage, Claudine sortit de sa retraite et se rendit un matin chez M"6 de L’Orme, suivie d’une prude-femme, selon l’a coutume des jeunes filles de la bourgeoisie. Elle n’eut pas fait cent pas dans la rue qu’elle put lire dans les yeux des passans l’effet de sa bonne mine et de sa beauté. Quelques jeunes gens, la voyant en équipage de demoiselle, la saluèrent pour feindre de la connaître. Son maître à danser lui avait appris l’inclination de tête par laquelle on répondait à ces hommages avec la modestie et la civilité de rigueur. Claudine connut le fruit qu’elle avait tiré de ces leçons au respect qu’inspiraient la simplicité de sa parure et sa démarche décente, relevée par la contenance austère de sa prude» femme.

Elle arriva ainsi devant le petit hôtel de Mlle de L’Orme. Un appareil

  1. Aujourd’hui rue de La Harpe.