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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/627

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LA BAVOLETTE.

Du fond de sa cachette, Claudine ne fit pas d’abord grande attention aux façons de ces étourdis. Cependant sa curiosité s’éveilla peu à peu. Elle s’aperçut avec étonnement que M1" de L’Orme parlait tout à coup leur phébus et laissait son naturel, qui était le plus charmant du monde, pour plaire à ces jeunes fous, en imitant leurs grimaces à la mode. On supplia la maîtresse du logis de chanter. On admira fort les attitudes gracieuses qu’elle avait en accordant son luth ; on n’écouta presque point sa chanson, mais on applaudit avec transport lorsqu’elle eut fini. On la consultait sur la comédie en vogue, sur le génie de l’auteur, sur le mérite des comédiens, et ses avis étaient accueillis comme les décrets d’une souveraine.

Claudine se prit à réfléchir en observant cette scène, dont les plus petites nuances la frappaient à cause de leur nouveauté.

— Il n’est point difficile, se disait-elle, de se faire adorer de ces jeunes gens, et, si je fusse née parmi ce monde-là, je n’aurais pas grand’peine à y briller.

Ce fut bien autre chose quand l’un de ces petits messieurs s’avisa de vouloir montrer de l’érudition et de parler d’histoire avec Marion. Claudine reconnut qu’ils faisaient tous deux quantité de bévues et d’anachronismes, dont le curé de Saint-Mandé se serait fort diverti, s’il eût été présent. La bavolet te ne revenait point de sa surprise.

— Est-il possible, pensait-elle, que des gentilshommes ne sachent point ce que mon curé m’a enseigné ?

Dans le boudoir de Mlle de L’Orme, les murs étaient ornés de glaces de Venise ; Claudine, assise sur un sofa, voyait son image répétée plusieurs fois par tous ces miroirs. Elle éprouvait un plaisir infini à contempler sa magnifique toilette, ses dentelles, son riche bracelet et l’ensemble charmant que présentait sa personne ainsi accommodée. Il lui semblait admirer une étrangère, tant la transformation était complète ; mais bientôt, en songeant que cette image si séduisante était la sienne, un éclair soudain lui pénétra dans l’esprit :

— Je suis belle aussi ! s’écria-t-elle avec joie. Il ne tiendrait qu’à moi de plaire, de régner de par ces yeux bleus, cette bouche de rose, cette taille de nymphe et cette jeunesse en fleur. Qui m’empêche de grasseyer comme une fauvette, d’apprendre, en écoutant les autres, à mal prononcer quelques mots, de faire comme si je jouais du luth pour choisir des poses gracieuses en accordant cet instrument, de chanter une chanson afin qu’on me trouve une voix délicieuse ? Ne saurais-je pas aussi regarder les gens en dessous d’un air hypocrite pour feindre la tendresse et donner à entendre au premier venu que je le distingue entre mille ? Tout cela est-il donc impossible à une fille de ma condition ? Mais je n’aurais pas même besoin de m’abaisser à ces manèges. Il suffit de vouloir plaire pour y réussir. On ne croit point à la vertu