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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/632

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aussi peuplé que l’hôtel Rambouillet, mais plus diversement. On y voyait de tout : des habits brodés, des baudriers, des ordres royaux, des rabats et des perruques dont le mauvais état témoignait la science et la célébrité. Arthénice et ses amis en conçurent de l’inquiétude. La petite académie de la vicomtesse d’Auchy n’en dormit point de trois ou quatre nuits. M"° Scudéry, chez qui l’on se réunissait chaque samedi, fit preuve d’habileté en ne montrant point de jalousie. La bonne demoiselle demanda son antique carrosse, et se rendit tout droit à la rue Saint-Côme pour embrasser sa rivale. Sa visite était annoncée. Claudine vint recevoir l’illustre Sapho (c’était le nom poétique qu’on donnait à la sœur du grand Scudéry) jusque sur les degrés de sa maison. Elle lui accorda la droite, la porte, le tapis de pied, le fauteuil de cérémonie, comme à une duchesse, en sorte que Sapho ne se sentit pas d’aise de tant d’honneurs. Boileau, qui était au collège en ce temps-là, n’avait point encore dit de M"0 Scudéry qu’elle tenoit boutique de verbiage. Elle jouissait d’un immense renom, et d’ailleurs Claudine n’était pas d’humeur à marchander avec les réputations établies. Sapho débuta par lui donner un baiser de comédie avec de grandes démonstrations d’amitié.

— Ma toute belle, dit-elle en s’asseyant, je me viens lamenter avec vous dans le tête-à-tête du malheur d’avoir de l’esprit. Je sais que vous êtes une des lumières de ce siècle, que vous avez un génie vaste et capable de tout ; partant, vous êtes, ainsi que moi, l’une des personnes les plus à plaindre du monde. Que de soins ne faut-il point pour obliger les gens à converser d’autre chose que de frivolités ! J’y passe ma vie, et je m’y consume. Dieu soit loué ! vous m’aiderez à cette besogne dont Hercule ne fût point venu à bout. De quoi parle-t-on chez vous ? Contez-moi vos subterfuges et les efforts de votre autorité ; je vous dirai à mon tour comment je gouverne mon peuple chaque samedi.

— Mon Dieu ! mademoiselle, répondit Claudine, je n’ai point de peuple. On se gouverne à son gré chez.moi. Le hasard décide du tour de la conversation, et, comme je ne suis ni une lumière de ce siècle, ni un génie vaste, j’échappe aux tourmens et aux fatigues qui accablent une femme de votre savoir et de votre mérite.

Mlle Scudéry avait l’ame noble et incapable d’envie. Elle sourit avec bonté à l’inexpérience de Claudine, et lui donna force conseils. Cependant, sous le prétexte d’une conférence entre généraux d’armée, elle voulait par curiosité procéder à une sorte d’examen. Mlle Simon ne l’esquiva point ; Sapho changea ses batteries, et tourna la conversation sur les matières abstraites, sur la philosophie, la politique et les lettres. Ses étalages d’érudition, ses longues phrases et ses expressions académiques formaient un contraste plaisant avec la simplicité, le naturel