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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/633

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LA BAVOLETTE.

et le langage tout impromptu de son interlocuteur. Ce naturel était rare alors dans le pays du bel esprit, et Mlle Scudéry n’en sentait point l’avantage ; mais, en demeurant persuadée de sa supériorité, comme son âge et sa gloire l’y autorisaient, elle apprécia les connaissances, la mémoire, la facilité à tout saisir de M"0 Simon.

— Ce n’est point, lui dit-elle en prenant congé, ce n’est point une rivale que je vois en vous, ma toute belle ; c’est un compagnon d’armes. Nous siégeons toutes deux sur la colline du Parnasse. Ainsi que des officiers vigilans, nous écarterons les mauvais soldats et distribuerons à la véritable valeur nos sourires et nos applaudissemens.

— Je n’ai point la prétention d’occuper un grade dans cette illustre armée, répondit Claudine. Vous y avez le bâton de maréchal, mademoiselle, et la distribution des récompenses vous appartient. Pour moi, je me contenterai de m’asseoir sur l’herbe de la colline et d’encourager tous les combattons qui monteront à l’assaut, qu’ils soient valeureux ou faibles, bons soldats ou maraudeurs.

Ce n’était pas une petite épreuve qu’un entretien avec Sapho. Claudine n’en soupçonnait point le danger, et n’en eut que plus de succès. M1" Scudéry, de retour chez elle, employa son exagération et ses plus beaux effets d’éloquence à louer la modestie et les qualités de Mlle Simon. Elle raconta les détails de sa visite à Saint-Côme avec plus de frais qu’un voyage aux Grandes-Indes. À l’instant même, la réputation de Claudine grandit de vingt coudées. M. de Scudéry en personne voulut connaître cette nouvelle merveille, et lui répéter la description qu’il aimait à faire de son gouvernement de Notre-Dame-de-la-Garde. Il ennuya fort Mlle Simon ; mais il ajouta par sa présence un lustre incomparable aux réunions de la rue Saint-Côme.

On devine aisément que, parmi tant de gens empressés, Claudine eut à supporter bien des déclarations d’amour. Tous les plus jeunes, les plus riches, les plus galans ou les plus célèbres s’émancipaient à peindre les feux dont ils brûlaient. C’était comme une procession de pèlerins à l’entour d’une madone inexorable. Lorsque M. d’Estrées voyait quelque joli garçon se pencher d’un certain air sur le bras de son fauteuil et souffler un mot tendre à travers les moustaches blondes de Claudine[1], il s’approchait d’elle et lui demandait si ce dernier galant serait plus heureux que les autres.

— Pas davantage, répondait M’e Simon.

— Mais, reprenait le maréchal, à quel prétendant votre cœur réserve-t-il donc la couronner ? Serait-ce au pauvre roi Charles II que nous voyons errer loin de son trône ?

— Mon cœur, répondait Claudine, est plus indépendant que l’An

  1. On appelait moustaches les longues boucles frisées des femmes.