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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/643

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LA BAVOLETTE.

Voici ma mère qui vient me chercher, et nous allons retourner ensemble à notre village.

En effet, Mlle" Simon s’enveloppa d’un capuchon de grosse laine et s’équipa en voyageuse. M. le prince réclama le plaisir de lui baiser les joues, les autres lui baisèrent les mains, et elle partit avec sa mère pour Saint-Mandé dans le carrosse de M. d’Estrées, laissant à Quillet le soin de veiller à ses petits intérêts. L’abbé se chargea de vendre son mobilier, et lui en porta le prix, qu’elle remit à dame Simonne. Les Parisiens parlèrent pendant un mois de l’étrange fin de l’académie de Saint-Côme, et puis ils s’occupèrent d’autre chose. M. le prince alla faire la guerre civile en Guienne. M. d’Estrées fut d’un autre parti’, et il emmena Quillet avec lui. De Bue reçut un coup de feu, dont il mourut sous les murs de Bordeaux. Thomas des Riviez servit la reine en bon soldat, et devint commandant au régiment de Royal-Italien. Quant à M. de Boutteville, on sait qu’il devint le célèbre maréchal de Luxembourg.

Lors du combat du faubourg Saint-Antoine, par où se termina la fronde rie, Claudine pria pour le succès de son héros favori. Le ciel n’exauça qu’imparfaitement ses prières. M. le prince quitta la France, et ne rentra en grâce qu’au bout d’un long temps. À son retour dans sa patrie, ce grand capitaine habita le château de Chantilly pendant les loisirs que lui laissa la victoire.

La chronique dit bien que Claudine Simon ne se maria point, et que la constance du pauvre Quillet ne réussit pas à l’ébranler dans sa résolution de rester fille ; mais cette chronique n’ajoute point que le cœur de la bavolet te soit demeuré toujours insensible. Mlle Simon quitta son village pour aller vivre dans une jolie chaumière, située dans les bois, sur les confins du parc de Chantilly. Elle n’entra jamais au château, mais on vit souvent M. le prince prendre tout seul le chemin de la chaumière. Depuis ce moment, les bonnes gens de Saint-Mandé ont perdu les traces de leur bavolet te, et ceux de Chantilly ne recueillirent sur elle aucun renseignement, d’où l’on pourrait conclure qu’elle enveloppa de mystère le reste de sa vie. Peut-être cette jeune fille avait-elle au fond pour le vainqueur de Rocroy un sentiment plus tendre que l’admiration. L’abbé Quillet eut en sa possession des lettres du prince de Condé qui venaient de Mlle Simon. Ces autographes se retrouveront quelque jour dans une des collections que font les curieux, et on pourra sans doute connaître, en les lisant avec attention, en quels termes était M. le prince avec l’héroïne de cette histoire.

Paul De Musset.