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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/642

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que les autres, méritait assurément d’être choisi, mais il porte le petit collet.

— Nous lui ferons donner dispense, s’écria le prince. Quillet, tu es préféré ; tu épouseras ma protégée.

— Non, monseigneur, poursuivit Claudine. Je me reprocherais amèrement de répondre à l’amour de M. Quillet, à son exaltation, à sa tendresse profonde, dévouée et délicate par une simple et froide amitié. Ce mariage est impossible. Je ne suis, vous dis-je, qu’une honnête fille, et non pas un trésor, ni une femme incomparable. Reprenez ces titres élogieux dont je suis indigne. Ma rancune ne retombe pas seulement sur M. de Bue, mais sur le monde entier. Elle n’est point assouvie encore, et je ne dormirai bien qu’après avoir rompu avec ce monde brillant et trompeur dont les dehors charmans, les faux semblans de vertu m’avaient séduite et attirée. Je suis partie de SaintMandé, mon petit paquet sous le bras, à la recherche de mon honneur. Je le tiens aujourd’hui, ej. je m’en vais avec ce bagage précieux dans mon village pour n’en plus sortir. Ce souper est un repas d’adieu. Mon voyage est achevé. Bavolette je l’ai entrepris, et bavolet te je m’en retourne.

— Cela n’est pas sérieux ? dit M. de Boutteville.

— Vous n’aurez point cette barbarie ! s’écrièrent Quillet et le maréchal d’Estrées.

— J’ai grand’peur qu’elle n’en démorde point, dit le prince.

— Rien n’est plus sérieux, reprit Claudine. Monseigneur, j’ai voué à votre caractère une admiration extrême : vous êtes le modèle que j’aurais suivi si le ciel m’eût faite homme ; mais il y a dans vos grandes qualités des points que l’ame d’une femme peut comprendre et imiter. Descendez en vous-même. Essayez de vous mettre à ma place en imagination, et dites ce que vous feriez.

— Je ferais comme, toi, mon enfant, dit M. le prince, car l’orgueil est ma passion dominante. Je lui devrai sans doute mes erreurs ; mais le peu de bien que j’ai fait, la gloire que j’ai acquise, c’est de lui qu’ils me viennent. Je t’approuve à regret. Va, ma fille. Retourne à ton village. Jouis de ton triomphe ; dors avec la satisfaction de la fierté vengée. Et s’il te plaît quelque jour de revenir dans ce monde qui te perd avec tant de chagrin, parmi ces amis qui te pleureront, je t’en donnerai les moyens. Tu seras bien reçue chez moi. Messieurs, buvons à la sagesse de cette jeune fille.

On versa rasade ; tous les convives burent avec des vivais, après quoi on passa dans le salon. Une paysanne s’y trouvait, plus simplement vêtue que la maîtresse du logis : c’était dame Simonne, qui saisit sa fille entre ses bras et la couvrit de baisers.

— Vous le voyez, messieurs, dit Claudine, mon projet est sérieux.