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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/659

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croiriez-vous pas entrer dans un de ces étranges sanctuaires de la démagogie que la révolution de février avait ouverts dans Paris, et d’où se sont élancés, comme de leur forteresse, les hommes du 15 mai et du 24 juin[1] ?

On sait avec quel courage Cicéron dénonça les coupables, les confondit devant le sénat et précipita leur condamnation et leur supplice. Pendant deux nuits, la ville fut en proie à la terreur universelle. Des rapports annonçaient que les conspirateurs devaient armer les esclaves, soulever les jardiniers et les ouvriers des faubourgs, et mettre le feu aux quatre coins de Rome. Le sénat ordonna aux consuls de veiller sur la république ; Rome était mise en état de siège. Malgré les efforts des complices que l’insurrection avait au sein même de l’assemblée, malgré les orateurs qui soutenaient que le peuple seul pouvait prononcer sur une accusation de ce genre, malgré César, qui, comparant la mort à un sommeil, affectait de trouver la peine trop légère et voulait sauver les accusés en les condamnant à la prison, le sénat prononça la peine capitale. « Jugement sans justice ! vengeance sur les ennemis désarmés ! » répétèrent long-temps après les amis de Catilina et ses successeurs., Le sénat proclamait Cicéron le père de la patrie, les factieux le surnommaient le bourreau. Ainsi s’accomplissait cette première tragédie, qui, pas plus que les combats de juin et la transportation des insurgés, ne terminait la guerre sociale. On avait amassé des deux côtés de nouvelles haines ; la vengeance avait un aliment et une flamme de plus. Catilina, d’ailleurs, qui eût pu se réfugier dans les Gaules, s’était fait tuer sur un monceau de morts. L’histoire, garde quelque pitié pour les factieux qui savent mourir : La guerre recommença bientôt sous d’autres formes : vaincue par les armes, la rébellion se réfugia dans les magistratures électives que le suffrage universel lui livrait ; les propositions parlementaires devinrent de vraies machines de guerre. Sous le tribun Rullus, on présenta une loi agraire qui rappelle les propositions les plus célèbres de l’année 1848 c’était l’abolition du prolétariat. On devait vendre toutes les propriétés municipales, les anciens domaines des rois, les terres et les forêts de l’état, tout le butin, or et vases précieux, appartenant au trésor public, enfin les terres de la Campanie ; qui formaient un des revenus les plus importans de la république. De cet amas prodigieux de richesses, dix commissaires extraordinaires devaient composer des lots que le sort assignerait à chaque citoyen sans fortune.

Cicéron réussit à faire rejeter la loi : déjà cependant son courage mollissait contre ces attaques incessantes ; ce ne fut pas sans hésitation

  1. In abditam partem aedium - barbatuli juvenes - omnibus arbitriis procul amotis, — omnes undique sacrilegii, convicti judiciis, aut pro lactis judicium timentes. (Satllustii Bellum Catilinarium.)