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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/660

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qu’il livra un nouveau combat aux révolutionnaires. Là où la harangue officielle ne nous montre que fermeté et résistance, les lettres nous initient aux agitations de son esprit ; on voit les coulissas du théâtre parlementaire : « Il y a trois partis à prendre sur la loi agraire : la combattre, il y a de la gloire au bout ; rester neutre, c’est-à-dire aller faire un tour à Tusculum ; parler pour la loi, César espère que je prendrai ce parti, et alors paix avec tout le monde, vieillesse tranquille. Oui, mais que devient mon allocution dans le IIIe livre de l’histoire de mon consulat ? « Soutiens jusqu’au bout, me dit Calliope, le courageux et noble rôle où tu as signalé ta jeunesse, et illustré ton consulat. » Et tout y est sur le ton de ces maximes. – Comment faire ? »

En sortant de son consulat, Cicéron jurait,« qu’il avait sauvé la république. » Nous aussi, combien de fois n’avons-nous pas sauvé la patrie ? Je ne sais pourquoi ces malades que les médecins sauvent périodiquement finissent assez vite par mourir. Cicéron remplissait sa lettre des hommages qu’il se décernait à lui-même : il déclarait qu’il avait bien mérité de la patrie ; il se voyait l’arbitre de la république, au faîte des honneurs, lorsque l’exil et la ruine étaient à sa porte. En vain ses ennemis, Clodius en tête, avaient signé un acte d’accusation contre lui ; il comptait les foudroyer de son éloquence. Le 24 février n’est pas venu plus inopinément. — « .Ma confiance est entière, disait-il[1] : vienne l’accusation de Clodius, l’Italie se lèvera en masse, et j’en sortirai plus glorieux que jamais. L’armée des gens de bien et même des demi-gens de bien se serre autour de moi. S’il ose en appeler à la violence, je trouverai dans le zèle de mes amis de quoi repousser la force par la force ; c’est à qui engagera pour moi sa personne, ses enfans, ses amis, ses cliens, ses affranchis, ses esclaves, sa fortune enfin ; la vieille phalange des honnêtes gens est toute ardeur ! On tourne la page, Cicéron est en fuite : un décret de banniss ement est rendu contre lui ; des peines sont portées contre ceux qui lui donneraient asile. Il se cache loin des grands chemins, il erre seul sur le rivage attendant que la tempête lui permette de mettre la mer entre ses proscripteurs et lui. Alors il s’écrie, avec ces retours amers sur le passé qui mettent les infortunes des grands personnages hors de toute proportion avec celles des conditions ordinaires de la vie : « Qui jamais tomba de si haut, dans une si juste cause, avec plus de ressources personnelles dans son talent, son expérience et son crédit, défendu par une plus forte ligue de tous les gens de bien ! Comment oublier ce que je fus, ne pas sentir ce que je suis ! Quels honneurs j’ai perdus ! quelle famille ! quelle fortune ! Rome enfin, et ma gloire avec elle ! »

  1. Lettres 52 et 45.