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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/691

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complètement au sein du moyen-âge en gravissant les rues tortueuses de Tolède, au règne de Philippe II en pénétrant dans le monastique palais de l’Escurial, ou au sein des mœurs de l’Orient en contemplant, pour employer une phrase que Mme de Staël trouvait un charme poétique à prononcer, les orangers de Grenade et les vieux palais des rois maures.

Il n’est rien en Angleterre qui ressemble aux trois localités que je viens de nommer. Tolède, vieille ville aux rues étroites, inclinées, tortueuses, perchée sur un rocher que le Tage ceint de flots rougeâtres, Tolède avec ses remparts, ses portes arabes, ses mosquées, ses synagogues, son étonnante cathédrale, Tolède, c’est le moyen-âge espagnol encore vivant. Rien, en Angleterre ni ailleurs, ne ressemble à l’Escurial, à cet édifice moitié couvent, moitié palais, que Philippe II pouvait seul créer : sombre et morne comme lui-même ; rien ne m’a laissé un souvenir plus profond qu’une journée passée à errer dans les cloîtres muets et déserts de l’Escurial. J’éprouvais un sentiment d’incroyable mélancolie ; quand je montais les longs escaliers de granit, quand entendais les pas de mon guide retentir sur les dalles des corridors abandonnés, quand je regardais les jardins symétriques les petits bassins emprisonnés entre de hautes murailles. Là, je me figurais voir Philippe II pensif et malade, épouvantant les hommes et effrayé de Dieu. Puis j’entrais dans l’église, où, au fond de la nef obscure, des deux côtés d’un immense escalier de porphyre rouge, sont agenouillées les statues d’or de Philippe II et de Charles V. Je me sentais comme accablé de stupeur en considérant cet édifice si majestueux et si triste, si splendide et si sombre.

Quelques jours après, j’étais dans la cathédrale ou plutôt dans la mosquée de Cordoue. Sans l’odieux chœur qu’on a imaginé de planter au milieu et que le sacristain voulait me faire admirer, j’aurais pu me croire au Caire, dans la mosquée de Touloun. Celle-ci cependant ne présente pas un nombre si prodigieux de colonnes. Du moins on a épargné le Mirhab tourné vers la Mecque ; et les mosaïques arabes ont conservé toute leur fraîcheur. Un musulman pourrait y faire ses dévotions comme un chrétien pourrait faire sa prière dans Sainte-Sophie. Singulier spectacle et les deux cultes ennemis ont emprunté à l’art d’un peuple qu’ils maudissent le plus étonnant de leurs sanctuaires.

Certes j’ai admiré souvent en Angleterre ce qui manque presque toujours en France : les libres abords d’une cathédrale plantés d’arbres et verdoyans de gazons. La flèche de Salisbury gagne beaucoup à s’élancer du milieu de la verdure. En France, je ne me rappelle guère que Saint Ouen à Rouen qui soit de la sorte entouré de beaux arbres, et encore Saint-Ouen n’a point à ses pieds ce tapis de verdure veloutée (velvet green) sur lequel est posée l’église de Salisbury. Il en est à peu