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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/711

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Un tableau dont aucun document n’atteste la date précise se rattache évidemment à cette époque de la vie du peintre. C’est l’Image de la Vie humaine, qui se trouvait dans la galerie Fesch, et qui est, grace à la belle gravure de Morghen, présente à tous les souvenirs. Le Temps sous les traits d’un vieillard assis et jouant de la lyre fait danser quatre femmes qui représentent les quatre âges de la vie, ou, suivant d’autres, les quatre saisons de l’année : un enfant tenant un sablier est à ses pieds. Dans le ciel, sortant des nuages de l’horizon, paraît le Soleil, précédé de l’Aurore, suivi des Heures, qui semblent danser en volant. Nous ne voulons relever ni l’aplomb, la justesse de l’allégorie, ni la beauté et la distinction des figures, ni l’excellence du coloris, mais seulement cette figure du Temps, qui découvre aux yeux tout un monde mystérieux et inconnu. Elle rappelle certains tableaux de Léonard de Vinci, que l’on trouve bizarres d’abord, ensuite sublimes. Il y a dans tout ce corps chétif et amaigri, dans ce visage à la fois débonnaire et railleur, sardonique et souriant, quelque chose qui laisse sous une angoisse singulière. C’est dans cette puissance de transporter la pensée bien au-delà de l’image qu’il faut chercher le caractère poétique de Poussin. Cette puissance est d’ailleurs le trait fondamental, essentiel ; pour ainsi dire unique du peintre. Poussin est idéaliste toujours et dans tout, non pas qu’il se soit jamais imaginé de changer, de corriger, d’embellir la nature : l’idéal n’est point la réalité remaniée, transformée, arrangée au gré de l’imagination, mais la réalité vue jusqu’aux entrailles dans le moment sublime du génie. L’art fixe irrévocablement cette image, qui, même pour l’artiste, ne brille que le temps d’un éclair. Nous pouvons avoir aussi continuellement sous les yeux ou dans la mémoire cette nature sans voiles que nos préoccupations, nos passions ou notre médiocrité nous empêchent souvent d’apercevoir.

Le tableau du Temps ne justifie guère les reproches qu’on a adressés à la couleur de Poussin. Quoi qu’il en soit, ces reproches existent, et nous ne voulons pas les nier, mais limiter, distinguer, séparer le vrai du faux. Il est impossible d’admettre le blâme sous la forme absolue et que quelques personnes lui donnent et qu’une étude superficielle légitime au premier abord. Ce mot de couleur est employé par les peintres pour exprimer tout ce qui n’est ni le dessin, ni la disposition, ni l’expression. Il est certain qu’adopté dans ce sens beaucoup trop large, ce mot prête à une foule d’équivoques. Il est vrai que Nicolas Poussin n’a ni cet éclat dans les draperies, ni cette vérité, cette transparence des chairs, ces admirables qualités du clair-obscur et de la pâte qui donnent aux tableaux de Corrége, de Rubens ou de Paul Véronèse une incroyable réalité ; mais il est faux qu’il n’eût pas, et à un haut degré, la plupart des qualités du coloriste. Ces qualités, dont le nombre est con-