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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/712

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peuvent se ranger sous deux chefs qu’il suffira de nommer pour éclaircir singulièrement la question :

1o La perspective aérienne, qui s’exprime par le clair-obscur, ou par la valeur relative des ombres, sans égard à la couleur proprement dite ;

2o La couleur locale, qui consiste dans la valeur du ton jugé indépendamment de ce qui l’entoure.

La perspective aérienne, l’harmonie des tons entre eux, la dégradation et la subordination des ombres et des lumières font si bien partie des qualités du coloriste, que nous disons tous les jours qu’une sépia, un dessin au bistre et même un dessin au crayon noir ont de la couleur, quoiqu’il n’y ait aucune nuance dans un dessin et qu’il ne se trouve dans la sépia ou dans le bistre qu’une gamme de valeurs relatives. Ces remarques n’atténuent pas les reproches légitimes que l’on fait à la couleur de Poussin ; elles les renferment, nous le répétons, dans de justes limites, et, quant à la vivacité que quelques personnes mettent à discuter cette question, nous sommes bien loin de nous en plaindre. La couleur est l’origine propre de la peinture, et les autres arts, sculpture, poésie, musique, sont inhabiles à exprimer comme elle le fait les plus intimes et les plus légères émanations de la vie. Elle a le pouvoir de saisir et de fixer, au moyen de la couleur, ces altérations subites, témoins plus vrais de nos passions que l’expression des gestes ou de la physionomie, que nous changeons et faisons mentir à notre volonté. N’est-ce pas elle qui donne aux yeux le feu de la colère, l’ardeur du désir, qui charge les paupières de langueur et de volupté, et qui trace autour des orbites ce cercle nuageux et bleuâtre, signe de la fatigue ou de la douleur ? On ne peut assez remarquer l’importance de cette couleur locale, et, bien loin de la ravaler, nous reprochons aux naturalistes de la compromettre en la réduisant à la ressemblance vulgaire et brutale. La couleur aussi, comme la composition, est idéalisée par le génie, et c’est cette idéalisation qui fait que nous nous souvenons des yeux, du front, des cheveux d’une femme de Corrége, de l’épaule d’une courtisane de Rubens, plus que de tous les dessins des Carrache ou de Jules Romain.

La réputation de Poussin fut lente à s’établir. On le regarda long-temps moins comme un peintre que comme un penseur. Il vivait très retiré, et employait le temps que lui laissait la peinture à faire, dans les environs de Rome, de longues et solitaires promenades, pendant lesquelles il méditait ses tableaux. Ses biographes racontent qu’il allait souvent s’asseoir, le matin, avec Claude Lorrain, sur la terrasse de la Trinité-du-Mont, et qu’il passait des heures entières à discourir sur la peinture ou les antiquités. Il n’avait point d’élèves, il avait peu d’amis. Sans être misanthrope, il aimait la solitude, et s’était fait à cette vie de