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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/781

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BELLAH.

sait force de rames vers le rivage, tandis que le noble vaisseau courait des bordées à deux lieues de la côte. — Us nous envoient un parlementaire, reprit le sergent ; c’est ce qu’on peut appeler une conduite prudente pour ne pas dire plus. Me feras-tu l’amitié de m’apprendre, Colibri, toi qui as des yeux d’aigle empaillé, ce que tu aperçois dans cette nacelle ?

— Sauf le respect que je vous dois, sergent, je crois y apercevoir une demi-douzaine de jupons.

— Alors, dit Bruidoux, ce sont des Écossais. Je ne connais dans toutes les armées du monde civilisé que les Écossais qui portent des jupons.

— Sergent, répliqua Colibri, les Écossais portent-ils aussi des coiffes ?

— Des coiffes ? dit Bruidoux ; je ne le crois pas. Tu veux dire des turbans ?

— H y a bien certainement au moins une coiffe, sergent. Ce sont plutôt des Écossaises.

— Tout est possible, reprit le sergent, en se recouchant avec philosophie ; mais si les femmes se mettent de la partie, bonsoir.

Pendant cet entretien, le commandant Hervé, assis sur la quille d’une barque renversée, traçait sur le sable avec le fourreau de son sabre des figures cabalistiques, tandis que ses yeux distraits semblaient lire des mots invisibles dans le monde confus des souvenirs ou des espérances. Une main, qui touchait doucement son épaule, l’arracha soudain à sa rêverie ; en même temps une voix claire et presque enfantine disait derrière lui :

— Eh bien ! voilà un heureux moment pour vous, Pelven ?

— Heureux ! Francis, répondit le jeune homme en souriant d’un air pensif, je n’en sais rien. J’ai assez vécu déjà pour savoir qu’on ne peut qualifier un moment d’heureux ou de malheureux que lorsqu’il est écoulé.

— Comment ? reprit Francis en interrogeant d’un œil plein d’affection le regard mélancolique de son ami, cette barque ne va-t-elle pas jeter dans vos bras une sœur bien-aimée ? N’est-ce pas là le bonheur après lequel vous soupirez depuis deux ans ?

— Et sais-je seulement, dit Pelven, si je vais retrouver en elle la sœur dont je me souviens et que j’espère ? Elle a vécu si long-temps au milieu de mes ennemis ! Elle apprend de tout ce qui l’entoure à haïr l’uniforme que je porte.

— Non, non, ce n’est pas cela ! s’écria le jeune aide-de-camp avec une vivacité qui couvrit son front d’une rougeur subite. Il ne faut que savoir d’elle ce que vous m’avez dit, Hervé, ce que vous avez bien