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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/800

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REVUE DES DEUX MONDES.

force. Des bruits pareils semblaient s’élever à la fois de plusieurs points du vallon.

— Quel diantre de bruit est-ce là ? dit Francis. On dirait des femmes qui battent du linge.

— Oui, répondit le garde-chasse sur un ton grave et triste, elles battent le linge des morts. — En même temps, il découvrit sa tête, leva les yeux vers le ciel, et commença une prière à voix basse.

Hervé se trouvait dans un embarras pénible : il sentait la nécessité de couper court à cette scène, qui pouvait être d’un effet contagieux sur l’esprit des femmes, et même sur l’intelligence de quelques-uns de ses soldats ; mais tout moyen violent lui répugnait vis-à-vis de l’homme avec lequel il venait de renouer si fortement une ancienne amitié. Au milieu de ses irrésolutions, il se sentit légèrement presser le bras. — Mon frère, murmura la voix caressante d’Andrée, vous allez me gronder ; mais je vous dirai que j’ai des frissons terribles… Ce sont des lavandières de nuit, ne le croyez-vous pas ?

— Allons, folle ! répondit Hervé en riant ; puis, se penchant à l’oreille du garde-chasse : — Mon bon Kado, lui dit-il tout bas, marchez, je Vqus en prie. N’effrayez pas ma sœur. — Kado regarda un moment le jeune homme avec indécision, et soupira longuement, après quoi il se remit en marche en roulant un chapelet entre ses doigts. Hervé se retourna alors vers les soldats : — Mes enfans, leur cria-t-il gaiement, il paraît qu’il y a en bas des ci-devant lavandières ; mais vous savez que la république ne les reconnaît pas : ainsi, en avant !

— Mon commandant, répondit Bruidoux, voici d’ailleurs Colibri qui va leur donner de l’ouvrage avec ses six douzaines de bas de soie. — Rassuré sur l’état moral de sa troupe par les rires qui saluèrent la plaisanterie du sergent, le commandant Hervé reprit avec plus de tranquillité sa place à côté de Francis.

Cependant, à mesure qu’on approchait du bas de la lande, les sons, bizarres qui s’élevaient de la vallée déserte devenaient de plus en plus distincts, imitant, à s’y méprendre, le retentissement particulier d’un battoir sur du linge mouillé, et quelquefois aussi le bruit plus sec du bois heurtant la pierre.

— Puis-je vous demander, commandant, dit Francis, quelle espèce d’animal est au juste ce qu’on appelle une lavandière, en terme de grimoire ?

— Les lavandières, lieutenant, sont des femmes diaboliques qui, sur le minuit, font une lessive de linceuls. On ajoute qu’elles prient les passans de les aider à tordre leur linge, et qu’en ce cas, le seul moyen de salut, c’est de tordre avec soin du même côté que ces dames ; si on tord à rebours, on est rompu.

— Ahi ! dit Francis, merci de l’avis, commandant. Je voudrais savoir