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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/801

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BELLAH.

maintenant à quelle cause vous attribuez, dans votre for, la musique ridicule qui afflige nos oreilles, car voilà le brouillard qui se dissipe ; la lune éclaire en plein la vallée, et je n’y vois réellement aucune apparence d’habitation.

— En effet ; mais il y a un coin du vallon que nous ne pouvons apercevoir d’ici, à cause de ce rocher que nous tournons. Il suffit d’un petit berger frappant les pierres du chemin avec un bâton pour produire ce bruit.

— Ma foi, je ne crois pas, commandant, à moins que vous ne supposiez une douzaine de petits bergers avec une douzaine de gros bâtons.

— Ne pourrait-il pas y avoir quelque cascade par là ?

— Jamais cascade n’eut une sonorité de ce genre. Voilà qui est extrêmement bizarre après tout. Cela sent diablement le soufre par ici, ne trouvez-vous pas, Pelven ?

—Nos oreilles nous servent mal la nuit, reprit Hervé répondant à ses propres pensées. Ces coups sont certainement extraordinaires. Croyezvous aux esprits, Francis ?

— Mais je commence, mon commandant. Tenez, c’est absurde, mais je suis ému.

— Chut ! dites-le tout bas au moins, mon garçon. Eh bien ! franchement, j’allais m’émouvoir aussi quand j’ai découvert le mot de l’énigme. Cette vallée a un écho qui répète le bruit du sabot des chevaux sur le rocher ; j’ai vingt fois entendu des échos aussi…

— Sur ma vie ! s’écria Francis, lavandières ou diables, les voilà ! Les deux officiers étaient alors arrivés de l’autre côté du rocher qui

leur avait caché jusqu’à ce moment une partie de la vallée. Hervé jeta les yeux sur le point que Francis lui désignait, et aperçut avec stupéfaction, à une distance de quelques centaines de pas, un groupe de femmes vêtues de blanc, les unes agenouillées devant des flaques d’eau, les autres paraissant étendre du linge sur des touffes d’herbes marécageuses. — Quelques cris étouffés et des murmures confus apprirent en même temps à Hervé que les femmes et les soldats venaient de découvrir cet étrange spectacle.

— Ah çà ! Colibri, dit Bruidoux, voici le moment de tirer tes bas de soie de ta malle.

— Hervé, s’écria Andrée, enlaçant de ses bras le corps de son frère, qu’est-ce que cela, au nom du ciel ?

— Ce sont des chouans, ma chère. On m’avait averti que je trouverais ces messieurs ici. Restez là et ne craignez rien.

Comme il achevait ce pieux mensonge, dont le but était de substituer l’émotion franche d’un danger connu aux hallucinations qui troublaient l’esprit de sa sœur, Hervé crut remarquer que la chanoinesse faisait un brusque mouvement de surprise, et fixait sur lui un regard