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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/804

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REVUE DES DEUX MONDES.

alors en voir les deux faces, et se convaincre que toute trace des lavandières avait disparu. Les deux jeunes gens descendirent aussitôt de cheval, s’agenouillèrent sur le sol, et se mirent à examiner la place, soulevant les décombres et frappant la terre de la poignée de leurs sabres ; mais, soit que la nuit, devenue plus obscure, déjouât leurs recherches, soit qu’ils eussent tort d’attribuer à l’ordre naturel des événemens la cause de cette disparition, ils ne découvrirent rien qui pût leur expliquer humainement l’issue désagréable de leur poursuite.

III.


Seigneur, j’ai reçu un soufflet.
(molière, le Sicilien.)


— Voilà, dit Hervé en se relevant, une comédie que je regretterai long-temps de n’avoir pu faire tourner au tragique.

— Mais je compte bien, commandant, qu’aussitôt nos hommes arrivés, nous allons effondrer le terrain jusqu’à la découverte du pot aui roses.

— Ce n’est pas mon avis ; outre que nous manquons des instrumens nécessaires, je ne me soucie ni de faire tuer mes grenadiers un à un par le soupirail d’une cave, ni de nous exposer aune nouvelle déconvenue, si, comme je le suppose, ces gens-là ont d’autres issues pour nous échapper. Il faut simplement faire bonne garde cette nuit pour tenir la fantasmagorie dans sa boîte jusqu’à demain.

— Soit, commandant ; mais la chanoinesse va rire de toutes ses pattes d’oie.

— À son aise ! nous rirons à notre tour, quand le temps en sera venu. Silence ! j’entends nos gens.

Les soldats accouraient, en effet, haletans et couverts de boue ; ils poussèrent des cris de joie en apercevant leurs officiers, et vinrent se ranger autour d’eux avec curiosité. Hervé leur conta, le prenant sur sa conscience, que les chouans avaient eu le temps de redescendre l’autre flanc de la colline avant qu’il eût atteint le plateau ; il indiqua même, sur un point de l’horizon, un bois de sapins où, disait-il, il avait jugé inutile de les poursuivre. Ces explications commençaient à l’embarrasser, quand il fut tiré de peine par l’arrivée des femmes et du guide. Andrée descendit de cheval et se jeta toute tremblante au cou de son frère, qui lui répéta brièvement la fable dont il venait de régaler les grenadiers. Puis, ayant laissé une sentinelle au pied de la muraille, sous prétexte de faire observer le bois de sapins, il prit le bras de la jeune fille et se dirigea vers le château, suivi de toute l’escorte.