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BELLAH.

formes blanches qui gisaient pêle-mêle sur le sol se relevèrent toutes à la fois et prirent le trot à travers la plaine, en sautant et en cabriolant avec un air de grande vitalité. — À moi, Francis ! cria Hervé, au galop ! et vous, mes enfans, en chasse, à volonté ! — En même temps, il enfonçait rudement ses éperons dans les flancs de son cheval, et s’élançait, côte à côte avec le jeune lieutenant, sur les traces des fugitives. Malheureusement le sol de la vallée était marécageux, et les chevaux s’embourbaient à tout instant dans des fondrières que les fantômes blancs avaient assez d’instinct ou de connaissance des lieux pour éviter. Les grenadiers s’étaient précipités en désordre à la suite de leurs chefs, et leur course, souvent interrompue, à laquelle se mêlait un concert de cris, d’appels, d’imprécations et d’éclats de rire, ajouta une nouvelle scène de sabbat à toutes celles dont le vallon hanté avait été le théâtre.

La troupe des lavandières, arrivée, moitié courant, moitié dansant, à l’extrémité de la vallée, commençait à gravir le coteau sur le haut duquel s’élevaient les grands débris féodaux. Hervé et Francis redoublèrent d’efforts, et eurent enfin la joie d’entendre sonner sous les pieds de leurs chevaux le terrain plus ferme de la colline. Pelven avait quelques pas d’avance sur son ami.—Commandant, cria Francis, attendez moi ! — Et voyant que Hervé continuait, sans l’écouter, l’escalade de la lande : — Prenez garde, reprit-il, vous allez vous enferrer ! Il y a peut-être une centaine de chouans là-haut.

— Quand il y en aurait cent mille avec le grand chouan lui-même, répondit Hervé que le dépit mettait hors de lui, par le diable, j’en tuerai un !

Au même moment, le jeune commandant atteignit le sommet de la rampe, et, apercevant les lavandières à une portée de pistolet, il poussa un cri de triomphe, car, sur le sol uni du plateau, la lutte devenait d’une inégalité qui paraissait décisive en faveur des cavaliers. Les fugitives, se sentant serrées de près, firent un détour sur la droite, et coururent de toute la vitesse de leurs jambes du côté des ruines ; mais Francis, prévoyant cette manœuvre, avait, tout en gravissant la colline, gagné du terrain dans la même direction, et Pelven le vit apparaître tout à coup à deux cents pas de lui, galopant de façon à couper la route aux lavandières, qui se trouvaient prises entre les deux officiers. Hervé les vit s’engager derrière un par de muraille isolé qui sortait des décombres d’une poterne extérieure ; mais, à sa vive surprise, bien qu’un large espace vide séparât ce par de mur du château, il ne les vit point reparaître de l’autre côté. Francis éprouva le même étonnement. — Elles sont cachées derrière ce mur ! s’écria-t-il. — Peu d’instans après, tous deux, faisant sauter leurs chevaux par-dessus les débris, vinrent tomber chacun d’un côté de la muraille isolée. Ils purent