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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/912

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de l’esprit, ne dominent pus et ne fécondent plus la vie intellectuelle. La pensée et l’imagination cessent d’avoir la conscience de leur but idéal et de leur moralité ; ci n’ont plus en vue, comme par le passé, d’éclairer les hommes et de les élever en les charmant. Elles se réduisent à ce rôle méprisable de flatter, d’entretenir ou de surexciter tout ce qu’une série de révolutions ont pu éveillée d’instincts avilis, de curiosités versatiles et de fantaisies irritées ; elles se font les complaisantes et lâches auxiliaires de cette fièvre de jouissances et de connaissances superficielles qu’on veut bien appeler, je ne sais par quelle ironie ; un des signes de notre grandeur, et qui n’est qu’une des faces de la corruption de l’intelligence moderne. N’avez-vous point vu, sous vos yeux l’inspiration et la science s’amoindrir et se morceler dans mille applications équivoques, dans mille manifestations sans puissance et sans durée ? ’ Et peu à peu, dans cet entraînement universel, les qualités viriles de l’esprit se dégradent, la force intellectuelle s’énerve, le niveau général des idées et de l’art s’abaisse jusqu’à un degré où toutes les notions se mêlent et se confondent, où il ne reste qu’un mobile et une mesure à tous les efforts, le succès, et où se dévoile comme un pandémonium vivant de toutes les impuissantes, de toutes les médiocrités de tous les corrupteurs et les trafiquans vulgaires de la pensée. C’est le demi-talent enivré de lui-même, qui cherche l’originalité et aboutit souvent au cynisme et à la barbarie raffinée du langage en se proclamant l’enfant de la fantaisie ; c’est celui qui épie le vent des caprices populaires, qui a toujours une œuvre prête sur le sujet qui devient actuel, et prétend, sur toute chose, à la priorité ; c’est celui qui parle de tout et de rien, — espèce assez commune de nos jours ; — celui qui fera de la philosophie, si vous y tenez, de l’histoire, s’il le faut, de la politique, si vous l’aimez mieux, mettra même en roman nos révolutions, pour peu qu’on l’en sollicite, et concourra à toutes les encyclopédies, à tous les dictionnaires, à tous les almanachs, qu’il plaira à une spéculation fiévreuse d’imaginer. La médiocrité apparaît sous mille formes, sous mille aspects, envahissant le domaine avili de la pensée, croyant à sa légitimité, à son droit de vivre littérairement, prenant ses vices mêmes pour des titres à la gloire, et laissant sur tout ce qu’elle touche sa triste et vulgaire empreinte. C’est un phénomène sensible dans notre époque : plus nous avançons, plus il est vrai que la vie littéraire perd de ses conditions de travail, d’élévation et de moralité, plus il est certaines qualités intellectuelles qui pâlissent et s’effacent, — le goût, le bon sens, la simplicité vigoureuse, la rectitude de l’inspiration, l’éclat d’un sentiment pur, l’honnêteté et la grace féconde de l’imagination ! Et, tandis que le véritable esprit littéraire se dissout dans cette atmosphère, comme une fleur dans un air malsain, vous voyez grandir un autre esprit, plein des vices des décadences,