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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/952

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modifiant l’assiette des contributions pour les pauvres, M. Disraëli parlant finances et impôts, M. Disraëli économiste ! c’était à n’en pas revenir. Le parti protectioniste, si dénué de sens et d’idées, avait un chef plus ridicule que lui-même et qu’il fallait mettre aux Petites-Maisons. La proposition de M. Disraëli peut avoir de graves inconvéniens, surtout aux yeux des Anglais qui limitent autant que possible la sphère d’action du pouvoir central ; mais elle apporterait un soulagement incontestable à l’agriculture. Elle consiste à mettre à la charge du trésor public les contributions pour les pauvres, auxquelles il est pourvu aujourd’hui par des taxes locales sur la propriété immobilière. Elle dégrève donc l’agriculture sans toucher en rien à la question du libre-échange et de la protection.

La proposition était habilement conçue ; elle a été développée avec plus d’habileté encore, et sir Robert Peel lui-même n’a pu s’empêcher de rendre hommage au talent déployé par M. Disraëli. Voici comment celui-ci a posé la question : « Avant d’inaugurer la politique du libre-échange, vous avez employé les excédans de recettes du trésor a soulager les classes manufacturières, vous avez fait disparaître les droits sur les matières premières, vous les avez diminués sur beaucoup d’objets de consommation, vous les avez abolis sur les céréales. Vous vous retrouvez aujourd’hui en présence d’un excédant de 50 millions ; faites pour l’agriculture ce que vous avez fait pour l’industrie. De votre aveu, le commerce et l’industrie prospèrent ; de votre aveu, l’agriculture seule ne par tage pas la prospérité générale ; et votre politique en est en partie la cause. Venez en aide à l’agriculture en la déchargeant des contributions pour les pauvres ; vous prouverez ainsi qu’en effet vous n’êtes pas ses adversaires systématiques, et que vous n’êtes pas inféodés aux intérêts industriels.

Il n’y avait rien à répondre à cette argumentation, aussi n’y a-t-on pas répondu. Quelques orateurs se sont évertués à prouver que la mesure proposée par M. Disraëli ne produirait aux agriculteurs que la minime économie de quatre ou de six pence par livre sterling d’impositions. Si petite qu’elle fût, l’économie n’en était pas moins réelle. D’autres ont prétendu qu’il serait plus avantageux à l’agriculture de demander le rappel de la taxe sur les briques, qui produit 10 millions au trésor, et qui rend les constructions agricoles plus coûteuses, ou d’obtenir la modification de tel ou tel impôt. C’était là autant d’aveux, indirects, qui constataient la légitimité des réclamations de l’agriculture. Personne du reste, n’a contesté la réalité et l’étendue des souffrances des classes agricoles. La discussion n’a pas tardé à s’animer ; sir James Graham et sir Robert Peel sont venus, l’un après l’autre, au secours du ministère, qui n’a réuni néanmoins que 273 voix contre 252, et dont la majorité par conséquent est descendue de plus de 400 voir à 21 seulement.

Ce résultat est dû presque uniquement à la position prise par M. Gladstone, l’un des anciens collègues de sir Robert Peel. Lorsque, dans la session dernière, M. Gladstone attaqua le ministère à propos des affaires du Canada, sir Robert Peel prit la défense du comte Grey, et tança assez vertement ses anciens lieutenans. On peut dire que, cette année, M. Gladstone a pris sa revanche. Il s’est chargé de répondre à sir James Graham, et il l’a fait avec une extrême vivacité. Il a déclaré que, pour sa part, il ne voyait pas que la question