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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/1067

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mortelles qu’il allait accumuler contre lui. Cette considération à en juger par la crispation croissante des traits de Soulouque, parut faire sur lui une impression qui n’était pas celle qu’avait voulu produire M. Raybaud ; puis, revenant avec cette obstination particulière aux enfans et aux noirs à sa première réponse, il persistait à se dire outragé par le vote indulgent du sénat. Dans ses yeux injectés de sang (c’est la rougeur des nègres) roulaient des larmes prêtes à en jaillir. « Non… tout sera fini ce soir… Voyez… ce monde est ici pour cela, » dit-il enfin en montrant le groupe des généraux, qui, debout à quelques pas de là, considérait les deux interlocuteurs dans une attention profonde. Ces derniers mots en apprenaient beaucoup au consul : une terreur maladive de l’opinion, telle était évidemment l’idée fixe et dominante de cet inculte orgueil, pour qui la clémence était un aveu de faiblesse. M. Raybaud fit vibrer violemment cette corde : « Eh bien ! dit-il assez lentement pour être bien compris, si cet honneur dont vous venez de parler vous est si cher, il est indispensable que vous sachiez que votre réputation sera à jamais flétrie à l’étranger par le coup que vous allez lui porter vous-même. Plus vos ressentimens contre cet homme vous paraissent légitimes, plus le sacrifice en serait trouvé glorieux, et j’ose assurer que notre roi, si clément lui-même, l’apprendrait avec une véritable satisfaction. » Le consul, ne recevant pas de réponse croyait avoir définitivement échoué, lorsque Soulouque lui dit « Si l’homme ne meurt pas, je veux qu’il parte… et pour toujours, pour toujours, répéta-t-il avec force ; c’est en considération du roi. » Il était inutile d’insister pour obtenir mieux que ce bannissement, toujours illégal.

Après la tragédie, la comédie. Au moment où M. Raybaud remerciait le président de lui avoir accordé cette vie et du calme que sa promesse allait rendre à la ville, le consul anglais, accompagné de son vice-consul, entra précipitamment dans la salle. À la prière de M. Raybaud. Soulouque répéta sa promesse devant le nouveau venu, et ce brave M. Ussher sortit non moins précipitamment, pour aller, au grand galop de son cheval, annoncer à la famille Courtois qu’il venait de sauver son chef. On sut plus tard la cause de ce dévouement subit de M. Ussher. Son ami, M. Dupuy, qui de loin avait assisté à l’entrevue, croyant comprendre que l’affaire prenait une tournure favorable, l’avait envoyé presser de venir participer à une démarche d’où pouvait rejaillir quelque honneur pour le consul général de France. Les ministres, qui, dans tout ceci, avaient montré une faiblesse pitoyable, voulurent aussi, comme M. Ussher, placer leur mot dans l’affaire, et, pour colorer d’un semblant de légalité cette clémence à la Pierrot qui consistait à commuer un mois de prison en bannissement perpétuel, ils répandirent à profusion dans la ville stupéfaite une proclamation où ils