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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/1068

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faisaient dire entre autres choses au président : « M. Joseph Courtois, s’étant rendu coupable d’un article intempestif, a été livré au glaive de la loi. Le pays attendait justice de cette conduite blâmable imprudente. Cédant à mes principes d’humanité et aussi à la généreuse sollicitation des consuls de France et d’Angleterre, faite au nom de leurs gouvernemens respectifs, j’ai usé du droit de faire grace que m’accorde l’article 139 de la constitution. Depuis cet acte de clémence, le sieur Courtois a sollicité la permission de quitter le sol de la république ; j’ai cru devoir, dans l’intérêt de l’ordre public, profiter de cette disposition pour éloigner de nos foyers un pareil sujet die discorde. » Proclamation monumentale et qui dénote un progrès immense dans la pruderie constitutionnelle des noirs !


V. – UNE SOLUTION NEGRE.

Heureuse d’en être quitte à si bon marché, la bourgeoisie jaune et noire passa de l’emportement à l’excès de condescendance. Le sénat tout le premier, revenant sur les réductions qu’il avait faites au budget, revota sans compter tout l’argent que Soulouque voulait bien lui demander. On désirait, mais sans oser l’espérer trop haut, que le président comprit à la longue le tort que lui faisait son entourage ultra-noir : les révoltes de l’opinion se réduisaient à l’expression timide de ce voeu. Ainsi ce pauvre noir si facile à décontenancer était déjà arrivé à ce point, que la classe éclairée, dont il agaçait naguère les nerfs par sa pusillanimité et ses ridicules, était prête à lui savoir gré de ce qu’il voulût bien la laisser vivre.

Ces reviremens subits de l’opinion, l’épreuve qu’il venait de faire de sa propre force, parurent, d’un autre côté, calmer les superstitieux pressentimens de Soulouque. La politique d’abnégation perdait décidément du terrain devant la politique de persévérance, et, à travers le large trou qu’il venait de faire dans la constitution, le président embrassait déjà, d’un regard visiblement satisfait, des perspectives beaucoup plus lointaines que celles de son pouvoir quatriennal. À tout hasard, il voulut se mettre en règle avec l’avenir, et un matin, le 31 décembre 1847, Soulouque épousa sans bruit Mme Soulouque, qui, non moins prévoyante, avait déjà donné plusieurs gages de perpétuité à la future dynastie. Ceci est tout un côté curieux des mœurs haïtiennes, et nous aurons à y revenir. Qu’il nous suffise de dire que, dans la circonstance, le mariage de Soulouque équivalait à un manifeste politique, et fit, à ce titre, sensation, ce que l’on comprendra, si nous rappelons que les deux fondateurs mulâtres de la république, Pétion et Boyer, n’avaient successivement épousé Mlle Joute qu’en présence de l’Être suprême, tandis que les autocrates noirs, Toussaint, Dessalines, Christophe, étaient bien et dûment mariés à l’église. L’approche du