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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/1069

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mois fatal, du douzième mois, rendit Soulouque à toutes ses terreurs, et la deuxième quinzaine de février surtout se passa pour lui dans des transes inexprimables. Je n’ai pu savoir si l’on découvrit enfin la poupée ; mais on fit en petit comité tant de conjurations, que le 1er mars 1848 Soulouque se retrouva radieux de santé, de joie et d’orgueil, dans ce même palais de la présidence où étaient tombés Hérard et Pierrot, où étaient morts Guerrier et Riché. Les dieux nègres avaient vaincu !

Tranquille du côté des esprits, sachant par une récente expérience qu’il pouvait beaucoup oser vis-à-vis des hommes, persuadé enfin, sur la foi de ses confidens vaudoux, dont certains discours d’anniversaire s’étaient fait complaisamment l’écho, qu’il n’avait franchi cet écueil si redouté du douzième mois que grace à une évidente prédestination, Soulouque reprit ouvertement l’idée favorite des chefs noirs et du parti noir, idée que le président Guerrier avait déjà émise pour son propre compte, que le président Pierrot avait à son tour poursuivie, et que Riche allait lui-même réaliser, lorsqu’il fut surpris par la mort. Serait-il roi absolu comme Christophe, ou empereur constitutionnel comme Dessalines ? Soulouque n’en comprenait pas trop la différence, ce qui était au fond, chez lui, une grande preuve de sens. En attendant, cette innocente fantaisie se compliquait de préoccupations assez inquiétantes. La nouvelle était arrivée de Santo-Domingo que le président Santana avait fait fusiller, comme impliqué dans une conspiration haïtienne, son principal ministre. Or, sait-on ce qui frappa Soulouque dans cette nouvelle ? Ce n’est pas l’avortement d’un complot qu’il avait soudoyé, c’est la vigueur déployée par ce hallier[1], terme de mépris dont il se servait pour désigner le chef espagnol. Cette idée le poursuivait partout et jusque dans son conseil des ministres, où il lui arrivait souvent d’interrompre la lecture d’un rapport par des distractions comme celles-ci : « Savez-vous que ce hallier a du caractère ! Il a fait fusiller son premier ministre !… Oui, ce hallier a du caractère ! » Ces parenthèses présidentielles durent plus d’une fois faire frissonner les nouveaux ministres ; mais Soulouque s’en prenait pour le moment aux anciens. À propos de troubles provoqués aux Cayes par le parti ultra-noir, M. David Troy venait d’être arrêté à Port-au-Prince et jeté dans un cachot avec toute sa famille. Quant au général Céligny Ardouin, l’un des membres les plus distingués de la classe de couleur, l’un des hommes qui avaient le mieux compris et secondé la politique modératrice de Riché, et que ce double titre désignait d’une façon toute particulière à l’aversion des conseillers extra-officiels de Soulouque, il avait été, en attendant mieux, éliminé de la chambre des représentans, sous prétexte d’incompatibilités qui n’existaient par Soulouque persistait, en un mot, dans l’idée qu’on conspirait contre

  1. De l’espagnol hato, lieu où l’on élève les bestiaux.