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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/1128

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dont le haut-égyptien n’est, comme on sait, qu’un dialecte, l’auteur de l’Enfant prodigue s’est mis à étudier à neuf des pays et des peuples sur lesquels on n’avait possédé jusqu’ici que des notions vagues et indéterminées.

Ce labyrinthe inextricable des hiéroglyphes, où tant d’illustres érudits et de doctes penseurs ont laborieusement erré leur vie entière, il l’a parcouru, lui, d’un pied leste et sémillant, le sourire à la lèvre, une rose à la boutonnière, comme on parcourt un jardin anglais. Et bien lui en a pris, car cette excursion non moins féconde que rapide nous a valu tout un monde d’idées nouvelles et de points de vue originaux sur l’antique Égypte, ses symboles, ses mœurs hiératiques et guerrières, choses fort méconnues des Denon, des Champollion, des Loewe et des Leipsius, et qui, s’il faut l’en croire, ressemblaient beaucoup plus qu’on ne se l’imagine à ce qui se passe journellement parmi nous. Ainsi, en ce temps-là, un cadet de province s’en allait faire son tour à Memphis pour voir la capitale. Une fois sur le pavé du roi, on y semait ses louis en toute sorte de fredaines, « le vin, le jeu, les femmes ; » il va sans dire que ce vers sacramentel qui revient inévitablement dans tous les opéras de M. Scribe était mis en pratique. Puis, quand on avait sablé le champagne à outrance et rossé suffisamment le guet, quand on s’était grisé avec des filles d’opéra et ruiné en compagnie de jeunes seigneurs qui pipent les dés, on s’en revenait à Quimper ou à Carpentras, pour y épouser la fille du notaire et succéder plus tard au beau-père dans son étude. Voilà pour ce qui se passait dans les rues de Memphis ; quant au sanctuaire de la déesse Isis, c’était, ma foi, bien une autre affaire ! Cette mythologie profonde et terrible de l’antique Égypte, cet impénétrable symbolisme devant lequel tremblaient les Pharaons, n’inspirait à ses prêtres que raillerie et quolibets ! « À Thèbes, poursuit dans une de ses lettres le charmant écrivain que nous citions plus haut, dans le tombeau de Rhamsès-Mai-Amun, où se trouvent reproduites sur les murailles de différens cabinets des peintures ayant trait aux usages et aux mœurs de la vie égyptienne, je remarquai une série de fresques dont la cuisine fournissait le sujet. Les cuisiniers y étaient représentés la tête entièrement rasée, usage fort pratiqué d’ailleurs et dont on s’explique l’utilité. Les Égyptiens avaient en horreur la gourmandise, et la tenaient pour le pire des vices. J’ai vu, et Champollion l’a noté comme moi, l’image d’un gastronome changé en pourceau et subissant ici-bas son châtiment sous cette ignoble forme. » — C’est sans doute à cause de cette aversion constatée par la science chez les Égyptiens que M. Scribe a fait de ses prêtres du sanctuaire d’Isis autant d’ivrognes hébétés.

Les prêtres ne sont pas ce qu’un vain peuple pense,
Notre crédulité fait toute leur science.

Ô XVIIIe siècle ! ô philosophisme de l’école encyclopédique ! que de chefs-d’œuvre du genre de celui-ci vous nous avez valus, sans compter ceux qui se produiront plus tard, et qui dorment encore dans les limbes ! Il fallait être, en vérité, une imagination aussi simple, aussi naïve, aussi candide que ce pauvre Mozart, pour prendre au sérieux les mystères d’une religion quelconque, fussent même les mystères de ce temple d’Isis, dont Platon et la Grèce comprirent le génie sublime. Vous souviendrait-il par hasard de la Flûte enchantée et du style qui règne dans cette partition, la plus imposante et la plus vaste que l’immortel