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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/1129

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auteur de Don Juan ait écrite ? Là aussi figurent des prêtres de Memphis, là aussi s’ouvre devant nos yeux le sanctuaire de la Cybèle égyptienne ; mais quelle grandeur, quelles perspectives ! Y a-t-il sur la scène de l’Opéra un escalier, si gigantesque et si ruisselant qu’il soit d’almées frémissantes et demi-nues, un escalier qui descende aussi à fond dans la vie secrète d’un peuple que cette phrase admirable de l’air du pontife Zarastro ? Mais bah ! qu’est-ce donc que ce Zarastro ? Un mystagogue croyant, un prêtre voué au culte de sa religion, un hiérophante prenant au sérieux son autel et son sacerdoce. Parlez-nous au contraire du bonhomme Bocchoris, ce desservant sceptique du bœuf Apis, de ce viveur émérite du sacré collége de Memphis, de ce libre penseur du sanctuaire d’Isis, qui se moque tout haut de sa déesse, de lui-même, du peuple égyptien et de tutti quanti, et débite en petits vers de la plus drolatique facture tous les lieux communs sur l’imposture des prêtres et des religions, et toutes les rhapsodies passées de mode du Dictionnaire philosophique :

A nous les plaisirs des dieux !
A nous les plaisirs joyeux,
Et sablons les vins exquis
Que devait boire Osiris,
Et mangeons le bœuf Apis !

J’imagine qu’après avoir découvert ces belles choses, M. Scribe sera venu en faire part à M. Auber comme au plus favorisé d’entre ses collaborateurs. M. Auber, nul ne l’ignore, est homme de tact et d’esprit ; devant une composition portant, le double caractère de l’antiquité égyptienne et biblique, son génie aimable et charmant eût reculé, mieux que personne il eût senti que ce sujet n’était ni dans son style ni dans ses convenances musicales, et que, pour rendre la fameuse légende des livres saints, il ne faudrait aujourd’hui rien moins que l’inspiration mâle et sévère et la dignité racinienne de l’auteur de Joseph ; mais telle qu’on la lui a présentée, et réduite ainsi aux bourgeoises proportions d’une anecdote contemporaine, cette fable de l’Enfant prodigue l’aura séduit. Pour ces Égyptiens en frac et en bottes vernies, il aura trouvé plaisant d’écrire des ariettes d’opéra-comique, et se sera fait une douce joie de mener paître avec des rubans roses les vieux sphinx granitiques de la colossale Memphis, travestis pour la circonstance en galans agnelets de Trianon. De là une musique, vive, animée, spirituelle, pimpante et bondissante, la musique du Duc d’Olonne et de Zanetta, de la Part du Diable et de l’Ambassadrice, la musique surtout du Dieu et la Bayadère. En fait de couleur orientale, M. Auber ne saurait aller beaucoup au-delà de cette partition, et d’ailleurs, si l’on y réfléchit, sa Lia de l’Enfant prodigue n’est-elle pas un peu cousine de la danseuse Zoloë ? et cet honnête desservant du bœuf Apis, l’humoristique et jovial Bocchoris ne donne-t-il pas la main au célèbre Olifour ?

Je suis content, je suis heureux,
Tous doivent l’être dans ces lieux !

chantait jadis, si j’ai bonne mémoire, le grand-juge, notre vieille connaissance :

Quand on sort d’un bon repas,
Que tout est bien ici-bas !