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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/172

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colorés, poussaient par touffes vigoureuses entre les blocs de rochers qui avaient roulé au fond de la gorge. La montagne, coupée à pic, se dressait çà et là des deux côtés du chemin comme un mur de rocher, et les saillies de ce mur étaient occupées par l’aire des vautours ou des aigles. Nous étions déjà parvenus au milieu du défilé, lorsque nous entendîmes comme une meute de chiens aboyer devant nous.

El gourouth (les singes) ! dit Mohammed-Cotten, et, au tournant du chemin qui fuyait alors devant nous en ligne droite, nous pûmes voir arriver, longue et compacte, une colonne de l’espèce de singes dite cynocéphale. Il ne devait pas y avoir moins de deux mille de ces animaux, qui, selon toute apparence, gagnaient les sources de Saati, près desquelles nous avions campé la veille. Ceux qui marchaient en tête, entendant crier sous nos pas les cailloux du chemin, venaient de pousser le cri d’alarme que toute la horde répétait. Les vieux et les adultes marchaient dispersés dans la foule, surveillant les mouvemens de chacun, aidant complaisamment les femelles chargées de leur nourrisson, stimulant les paresseux à grands coups de pattes ; on apaisait les querelles qui survenaient entre les jeunes au moyen de bourrades distribuées aux agresseurs comme correction, aux victimes comme avertissement. Quand le cri d’alarme retentit, les vieux se portèrent en avant pour faire face au péril ; les petits, qui avaient quitté le dos de leur mère pour jouer sur le sable, se suspendirent aux reins de leur nourrice, se laissant emporter ainsi sur les flancs de la montagne. En un clin d’œil, le chemin, trop étroit pour la foule un instant auparavant, se trouva complètement libre ; les deux revers de la gorge se couvrirent pour ainsi dire d’une houle mouvante de dos et de têtes hideuses, et la crête des rochers se couronna en quelques secondes de plusieurs sentinelles qui ne cessaient de japper ou de grimacer ; tout cela grouillait, criait : c’était quelque chose d’étrange à voir et un tumulte assourdissant.

Alors seulement les mâles, auxquels donnaient un aspect féroce leur longue crinière, leur forme ramassée et pleine de vigueur, et surtout les longues canines qui débordent leur museau, les mâles, dis-je, commencèrent à battre en retraite lentement, presque à reculons, et toujours prêts pour un retour offensif. Gazaïn leur lâcha un coup de fusil, et l’un des plus gros tomba, la tête fracassée par une balle. L’explosion fit taire un instant tous les cris, et tous ces corps suspendus à la cime des rochers ou sur la pente rapide des mamelons voisins bondirent sur eux-mêmes, comme si une nappe électrique eût effleuré le sol et les eût touchés tous. Le groupe nombreux auquel appartenait le mort menaçait de se ruer sur nous, quand le malicieux Gabrio leur envoya un coup de gros plomb qui tomba au plus épais de la bande, et quelques cynocéphales piqués se roulèrent furieux sur