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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/353

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dans ses facultés, il est toujours dangereux de voir dans cette tâche accomplie le dernier mot de la science humaine, le dernier mot de l’art humain, et pourtant, quoique M. de Lamartine ne dise pas précisément : Je vois dans l’Histoire des Girondins l’idéal de l’histoire, il est bien difficile de se méprendre sur le sens et la portée de sa pensée ; il est impossible de ne pas tirer des prémisses qu’il pose la conclusion que j’énonce. Les préceptes qu’il développe avec tant de complaisance, avec une joie si évidente, avec un orgueil si naïf, étaient écrits, à l’en croire, avant l’Histoire des Girondins. Il se trouvera sans doute plus d’un lecteur qui n’acceptera pas à cet égard l’affirmation de M. de Lamartine et voudra voir dans ces préceptes un souvenir plutôt qu’un programme. Que l’auteur se laisse ou non abuser par sa mémoire, peu importe, que réunissant le rôle d’Aristote au rôle d’Homère, il ait fait sa poétique après avoir écrit son Iliade, ou qu’il ait prévu ce qu’il voulait faire c’est un point difficile à éclaircir. Il affirme que son traité sur la manière d’écrire l’histoire a précédé son livre sur les Girondins, et je ne puis pas lui prouver qu’il se trompe. Tout mon droit se réduit à juger l’œuvre et le précepte : or l’Histoire des Girondins est encore présente à toutes les mémoires. J’aurais mauvaise grace à contester la popularité de ce livre, ce serait nier l’évidence ; mais, en acceptant le fait, je ne renonce pas à le discuter.

Oui, sans doute, l’Histoire des Girondins est un livre populaire ; est-ce à dire que ce soit un bon livre ? Je ne le pense pas ; je ne crois pas qu’il soit permis de le penser. Sans vouloir même insister sur l’étrange mobilité des principes d’après lesquels l’auteur juge les hommes et les choses, si toutefois il est permis d’appeler principes des idées qui se dérobent à l’analyse, au nom desquelles M. de Lamartine condamne et amnistie tour à tour toutes les causes, à ne considérer que sa méthode, je me demande par quel côté ce livre appartient à l’histoire. Depuis les historiens de l’antiquité jusqu’aux historiens de l’Europe moderne, certes les modèles ne manquent pas. Je ne crois pas à la nécessité (le reproduire servilement tel ou tel type consacré par une longue admiration. Je conçois très bien que l’historien de la révolution française, avant à choisir entre les Muses d’Hérodote et l’Histoire Florentine de Machiavel, entre Tacite et Thucydide, s’attribue le droit de n’imiter aucun de ces maîtres illustres ; mais au moins faut-il qu’il n’oublie jamais le but réel de l’histoire : le récit des faits. Qu’il juge les événemens avec plus ou moins de sagacité, selon la mesure de son intelligence, nous ne pouvons pas exiger de lui une pénétration constante, une clairvoyance à toute épreuve : au moins pouvons-nous exiger qu’il raconte avant de prononcer son arrêt. Eh bien ! dans l’Histoire des Girondins, le récit est presque toujours absent ; les faits proprement dits, les faits d’un intérêt public sont -à peine retracés. Quand l’auteur