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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/392

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dont l’Autriche semblait s’inquiéter si peu lui ont été subitement dévoilés au milieu des horreurs des guerres intestines, et cette molle société, si dédaigneuse la veille encore de toute ambition virile, est engagée désormais dans des luttes qui n’admettent point de trêve. Ces races ennemies, Croates et Magyars, qu’on a vues se lever si fièrement, il y avait long-temps déjà que se développait dans leur sein une agitation extraordinaire ; il y avait long-temps qu’elles refusaient de se confondre avec l’Allemagne, et que, réveillant leurs traditions nationales, elles réclamaient leur place au soleil ; l’esprit public cependant était bien peu soucieux de ces grands problèmes ; une politique prudente se consumait en efforts inouis pour ajourner, pour dissimuler même les difficultés qu’elle désespérait de vaincre ; les hommes d’état se reposaient vaguement sur l’avenir, et l’Autriche, à qui ces provinces échappaient chaque jour davantage, ne se sentait pas l’obligation urgente, impérieuse, de regagner au plus tôt son influence perdue. Comment a-t-elle compris enfin le danger ? Il a fallu pour cela des événemens étranges, il a fallu des menaces subites de démembrement, la révolution de Milan et la démagogie européenne s’alliant à l’aristocratie des Magyars.

Depuis cette crise formidable, la monarchie autrichienne commence à se régénérer. Certes ce sera un titre glorieux pour ce pays d’accepter tous ses devoirs et de surmonter un jour toutes les difficultés qui l’obsèdent ; si l’on compare seulement sa situation présente au triste et languissant régime qui a précédé le 13 mars, quel développement inattendu ! quelle physionomie fièrement accentuée ! Cette terre épuisée, disait-on, cette société d’où s’était retirée la vie a déployé tout à coup des ressources que ses gouvernans eux-mêmes ne soupçonnaient pas. À coup sûr, celui qui aurait visité l’Autriche en 1847 et la reverrait aujourd’hui aurait peine à la reconnaître. Où est, des premiers rangs aux derniers, cet incroyable dédain de tous les problèmes politiques ? Où trouverez-vous encore cette volontaire ignorance, cet épicuréisme intellectuel, cette incorrigible quiétude en face des plus pressans périls ? Où trouverez-vous ce pouvoir débonnaire qui se croit dispensé d’agir et s’imagine que l’administration toute seule, pourvu qu’elle soit paternelle et honnête, peut suppléer à l’art si redoutable de conduire les destinées d’un peuple ? Ce qui caractérise aujourd’hui l’esprit public en Autriche, c’est quelque chose de vaillant et de résolu. Au lieu d’éloigner comme des fantômes importuns tous les problèmes qui le harcèlent, l’esprit de l’Autriche s’est accoutumé à regarder l’ennemi en face, il est entré sans crainte dans le monde des choses réelles. Je ne parle pas seulement de la vieille discipline militaire et de ces patientes armées qui ont si rapidement vengé leur défaite ; je parle avant tout des ressources morales, je suis surpris d’avoir à signaler tant de