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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/393

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décision et de vigueur chez ce peuple qui redoutait hier le moindre bruit des choses du dehors, et semblait chaque jour se retirer du sein de la famille germanique.

Ce changement si complet dans les allures d’un grand pays, ce rapide passage de la mollesse à l’action et de l’indifférence à l’audace tient certainement à des causes profondes. Que l’armée autrichienne ait opposé sur tous les points une résistance victorieuse à la démagogie, que Windischgraetz, Radetzky et Jellachich aient maintenu l’intégrité du territoire au moment où tous les liens étaient brisés et toutes les autorités méconnues, il n’y a pas là de quoi nous étonner beaucoup ; l’esprit militaire a toujours été, en temps de révolution, le gardien de l’honneur, le dernier refuge de la discipline et de la force. Par malheur, cette suprême raison des sociétés aux abois, la force toute seule, ne peut guère fonder un établissement durable. Abattre les barricades n’est rien, tant qu’on n’a pas relevé les croyances et les mœurs, qui sont la tutelle des états. Or, quelque chose se fonde en ce moment dans la monarchie autrichienne ; une certaine idée, une certaine puissance morale commence à grandir pour le salut de ce pays ; laquelle ? Le sentiment très vif de la mission de l’Autriche et des services qu’elle seule peut rendre. S’il y a un lieu commun en vogue chez les démocrates, c’est bien la tyrannie de l’Autriche, c’est le joug impitoyable qu’on l’accuse de faire peser sur les races diverses dont se compose l’empire. La démagogie française n’a jamais brillé par l’intelligence des questions extérieures ; au pouvoir comme dans la presse, elle a fait mille fois ses preuves et donné sa mesure. Ce joug odieux contre lequel on s’indigne si fort est précisément la sauvegarde de toutes ces populations réunies, et le démembrement de la monarchie autrichienne serait le signal de leur ruine. La faute immense de l’Autriche avant la révolution de mars n’est pas d’avoir opprimé les Slaves ou les Magyars, mais d’avoir fermé volontairement les yeux au travail intérieur qui régénérait ces peuples, d’avoir laissé grandir ce mouvement sans étudier les problèmes inconnus qu’il apportait ; de là ses embarras sans cesse renouvelés, cette continuelle politique d’expédiens et d’ajournemens, et enfin, à l’heure du péril, cette surprise profonde qui ne s’est dissipée qu’au bout de six mois, après une triple explosion de l’esprit révolutionnaire. Cette faute, avec le châtiment qui l’a suivie, devait être un enseignement lumineux ; aussi, malgré les invectives des démagogues, la mission de l’Autriche est-elle désormais manifeste à tous les regards. C’est à elle de grouper en faisceaux les peuples de l’Europe orientale, de protéger leur développement légitime, de les conduire dans les voies de la civilisation, de se les attacher par la reconnaissance et l’intérêt, de les sauver enfin ou de la barbarie de l’isolement ou du redoutable protectorat de la Russie.