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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/594

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mots ; mais avait-il vu la fresque de S. Onofrio ? C’est là qu’est la question.

Or, il est bon qu’on le sache, les nobles comtesses de Fuligno observaient la clôture rigoureuse, et aucun homme, à aucun jour de l’année, n’avait accès dans leur couvent. Nous sommes donc tout au moins en droit de supposer que Vasari n’avait point vu leur fresque.

Mais pouvait-il ignorer qu’elle existât ? D’autres religieuses, dont la règle n’était guère moins sévère, les sœurs de Sainte-Marie-Madeleine dei Pazzi, cachaient aussi à tous les yeux profanes une peinture dont le Pérugin avait orné leur chapelle, et cependant personne dans la ville n’ignorait que ce trésor fût en leur possession. Pourquoi les dames de Fuligno auraient-elles été plus discrètes ? Nous ne prétendons pas leur attribuer plus de vertu qu’à leurs sœurs ; mais ne peut-on supposer qu’elles ont gardé ce modeste silence, faute d’être assez bons juges en peinture pour se douter que l’œuvre d’un simple étudiant pût faire la gloire de leur maison ?

Ce n’était, en effet, pour toute une partie du public italien, qu’un étudiant et presque un inconnu, celui qui, en 1505, à Florence, portait ce grand nom de Raphaël. Il semble aujourd’hui que, dès le premier jour, son front dût rayonner de gloire ; on ne pense qu’au peintre du Vatican, comblé d’honneurs, traînant après soi le cortège de ses disciples idolâtres, et on oublie le modeste jeune homme descendu de sa petite ville d’Urbin dans la cité des Médicis, sans argent, sans amis, presque sans protecteurs. Nous le suivrons tout à l’heure de plus près dans cette phase de sa vie, la moins connue, bien que, selon nous, la plus attachante ; et s’il nous est prouvé que ses œuvres encore naïves ne pouvaient être alors sainement appréciées que dans un cercle restreint et choisi, si l’état des esprits et du goût à Florence ne lui permettait d’aspirer ni aux applaudissemens incontestés de la foule, ni même aux encouragemens et aux faveurs prodigués dans certains palais, on ne sera pas surpris qu’au fond d’un cloître, loin du monde et des arts, de saintes femmes n’aient pas su deviner qu’elles confiaient au plus grand des peintres la décoration de leur réfectoire.

Plus tard, lorsque sa renommée devint universelle, le bruit en pénétra sans doute jusque dans leur asile, et le prix inestimable de cette peinture ne put leur rester inconnu. De nombreux crochets de fer plantés régulièrement dans le haut de la muraille indiquent qu’un voile ou une tapisserie la couvrait habituellement comme un objet de grande vénération, et l’étonnante conservation de l’enduit et des couleurs confirmerait au besoin cette conjecture. Ajoutons qu’il existe encore à Florence quelques femmes qui, avant 1800, fréquentaient le monastère ; elles disent toutes qu’aux jours de fête seulement on découvrait la Sainte Cène du réfectoire, que de toutes les peintures du