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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/595

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couvent, celle-là était tenue en la plus haute estime, mais sans qu’on parût savoir quel en était l’auteur.

Comment et depuis quand le souvenir s’en était-il perdu ? Était-ce d’abord par prudence, pour ne pas éveiller une importune curiosité, qu’on s’était abstenu de divulguer un nom d’artiste devenu trop célèbre ? Était-ce seulement par sainte indifférence pour les choses de ce monde ? On peut à ce sujet se perdre en hypothèses. Ce qu’il y a de certain, c’est que les dernières religieuses ignoraient de qui était le tableau, et, à défaut du public, ce n’était pas quelques dévotes assistant à leurs offices qui pouvaient le leur apprendre.

Aussi, jusqu’en 1800, tant qu’a duré la communauté, il est tout simple que le mystère et le silence se soient perpétués, et qu’un secret si bien gardé depuis trois siècles n’ait pas été violé ; mais le jour où, par ordre du sénat de Florence, les religieuses de S. Onofrio furent réunies aux religieuses de S. Ambrogio, le jour où les bâtimens conventuels furent mis en vente, et où chacun fut libre de pénétrer dans ce réfectoire, comment ne se trouva-t-il personne, pas un commissaire des républiques française ou cisalpine, pas un Anglais voyageur, pas un amateur de la ville, personne enfin qui signalât les beautés supérieures de cette fresque, personne qui en révélât seulement l’existence ? La suie ne la couvrait pas alors. Comment a-t-il fallu quarante-trois ans et un heureux hasard pour en faire la découverte ? Voilà quelque chose de bien autrement étrange que l’ignorance de nos religieuses, quelque chose qui paraît incroyable, et dont pourtant on ne peut douter.

Il est vrai que, sans sortir de Florence, nous citerions d’autres découvertes de ce genre plus extraordinaires encore. Ici du moins personne n’était averti ; on ignorait que, sur ces murs de S. Onofrio, il y eût quelque chose à chercher, et le badigeon pouvait ensevelir à jamais ce chef-d’œuvre sans que personne eût un reproche à se faire. Mais qu’un tableau des plus exquis, un tableau que tout Florence avait admiré pendant deux siècles dans un des riches palais de la rive gauche de l’Arno, en ait disparut un beau jour, qu’il ait été pendant soixante ou quatre-vingts ans non-seulement perdu, mais oublié de la famille et du public, jusqu’à ce que, par fortune, un étranger l’ait retrouvé dans ce même palais, cela n’a-t-il pas l’air d’un conte fait à plaisir ? et pourtant c’est l’histoire parfaitement véridique de la Vierge du palais Tempi. Une femme de chambre tomba malade, et le médecin de la maison, qui, par bonheur, aimait les arts, monta la visiter sous les combles ; là, dans le fond d’une alcôve, à travers une couche de poussière et de fumée, il aperçut l’image de cette jeune mère au souriant visage, prête a donner un baiser à l’enfant qui joue dans ses bras, mais hésitant comme arrêtée par le majestueux regard de son divin fils.