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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/634

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de s’être trouvé mêlé aux plus beaux faits d’armes de notre jeune armée, sans appartenir cependant à la génération nouvelle. Presque toujours, les conditions d’âge entrent pour beaucoup dans les sympathies des hommes, et ces deux héros du passé, se rencontrant dans le présent, n’en devaient que mieux se comprendre. Le vétéran illustre de l’armée autrichienne n’a jamais oublié ses premières campagnes, lorsqu’il servait en qualité d’adjudant sous les ordres du général Mélas, et cet échiquier, italien qu’à son tour il gouverne en maître aujourd’hui, il en commençait l’apprentissage à Marengo dans des circonstances moins heureuses pour son pays, mais où sa bravoure et ses talens ne perdirent pas une occasion de se donner carrière.

Nous causâmes ainsi environ une grande heure, pendant laquelle le maréchal, toujours allant et venant, passa d’un sujet à l’autre avec l’entrain, la verve, la pétulance d’un jeune officier de trente ans. Conteur original et plein d’anecdotes humoristiques, par momens il s’appuyait devant sa table, et, les jambes croisées, écoutait d’un air de très vif intérêt ce que nous lui disions de la France et de certains hommes qui l’ont gouvernée pendant ces dernières années. Puis tout à coup, reprenant sa marche, il se laissait emporter de nouveau, s’échauffant de ses propres paroles, tour à tour gai, railleur, impétueux, le sourire aux lèvres ou l’éclair dans l’œil, selon les impressions qui l’animaient. Le maréchal, qui parle facilement plusieurs langues, avait commencé la conversation en français ; mais, ainsi qu’il arrive assez ordinairement en pareil cas, à mesure que les nécessités du discours réclamaient une élocution plus rapide, la langue française lui manquant, il saisissait l’allemande au passage, comme on quitterait un cheval d’occasion pour sauter sur sa monture accoutumée, et, se retrouvant dès-lors plus ferme en selle, il se remettait à battre vivement le terrain. Les campagnes du Piémont et de Hongrie, l’empire d’Autriche aux prises avec le plus effroyable cataclysme et domptant le fléau de Dieu par le génie de son armée, l’antagonisme des nationalités si souvent invoqué comme un élément de dissolution sauvant à un jour donné cette monarchie qu’il devait perdre, la témérité de l’attaque et l’héroïsme de la répression, Milan, Venise, Vérone, Novare enfin, tels furent les différens points qu’il toucha ; — une fois lancé, ne s’arrêtant plus, coupant court à une considération politique pour vous raconter quelque anecdote soldatesque, et, au milieu de tout cela, s’effaçant lui-même avec la plus ingénieuse obstination, faisant çà et là mille détours pour éviter sa personnalité, et comme il fallait bien, sur un pareil chemin, finir par se rencontrer nez à nez avec elle, ne se décidant à l’aborder que d’un ton de réserve extrême et de la façon d’un homme qui vous dit : « Je n’ai fait que mon devoir, tout autre à ma place eût agi de même. »