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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/635

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Le malheur de ces conversations, c’est qu’il est impossible d’en rien fixer sur le papier. Eût-on à son aide la plume d’un sténographe, comment rendre ce mélange de bonhomie et d’autorité, cet accent à la fois paternel et dur, cet œil narquois qui, tout en larmoyant, lance une flamme, en un mot toute cette physionomie originale et si profondément caractéristique de l’octogénaire caporal ? Il n’importe ; certains souvenirs de cet entretien méritent peut-être quelque intérêt au point de vue d’une appréciation impartiale d’événemens encore trop contemporains pour avoir été de part et d’autre estimés de sang-froid. L’histoire s’éclaire de tout, et, quel que soit d’ailleurs le principe auquel on demeure attaché, qu’on se prononce pour l’Autriche ou le Piémont, il ne viendra, j’imagine, à l’idée de personne de nier que la succession de faits inaugurée par le combat de Goïto et qui a pour dénoûment la bataille de Novare n’appartienne désormais irrévocablement à l’histoire.


II

Charles-Albert n’eut jamais franchement les sympathies de la Lombardie ; il suffirait de consulter ses propres généraux pour s’en convaincre. On avait besoin du secours de son armée et de son bras dès-lors il n’en coûtait rien de flatter son ambition, de caresser sa vanité, quitte à jeter le masque plus tard. On sait en quelles indignités, en quels ignominieux outrages se changèrent, au jour venu, ces flatteries et ces caresses, et, aux yeux de quiconque veut des preuves, les balles qui trouèrent le plafond de la Casa-Greppi à Milan témoigneront de l’affection des Lombards pour le roi de Sardaigne. Entre le parti révolutionnaire et Charles-Albert, c’était à qui tromperait l’autre. « Pressé par l’insurrection qui éclatait de toutes parts, je dus rassembler mes troupes sur le point central de mes opérations militaires, et ce fut cette concentration que Charles-Albert prit pour une défaite, pour l’abandon définitif de la Lombardie : » ces paroles du maréchal Radetzky renferment tout le secret de la conduite du malheureux roi de Piémont. D’un côté ; toujours céder aux manœuvres des républicains, favoriser, au prix de son repos et de sa couronne, les illusions et les folies d’intrigans chimériques ; de l’autre, donner dans tous les piéges d’un ennemi habile, rompu à la guerre, et dont la haine persévérante et l’implacable obstination devaient finir tôt ou tard par lasser sa fortune telle fut la destinée de ce prince aussi inconsidéré que vaillant, aussi chevaleresque sur le champ de bataille qu’inexpérimenté dans les conseils.

Dupe des menées révolutionnaires et en même temps aveuglé par